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dix-neuvième runo

flammes. Il étreint le grand brochet couvert d’écailles avec les ongles, il tire le monstre puissant, des profondeurs du fleuve jusque sur la surface limpide de l’eau.

Le faucon aux ongles de fer parvint ainsi, à la troisième attaque, à arracher le grand brochet de Tuoni, le gras poisson aux rapides nageoires, du fleuve de Tuonela, des gouffres profonds de Manala. L’eau ne ressemble plus à l’eau, à cause des écailles dispersées du grand brochet ; l’air n’est plus reconnu comme l’air, à cause des plumes que le faucon a perdues.

Et le faucon aux ongles de fer enleva le grand brochet couvert d’écailles jusqu’à la cime d’un chêne, jusque dans la couronne touffue d’un pin. Là, il se mit à goûter de la chair du poisson, il lui ouvrit le ventre, déchira sa poitrine, et sépara violemment sa tête de son corps.

Le forgeron Ilmarinen dit : « Ô faucon, malheureux oiseau, quel oiseau es-tu donc, à quelle classe de créatures appartiens-tu, toi qui goûtes de la chair de ce poisson, toi qui lui as ouvert le ventre, déchiré la poitrine, toi qui as violemment séparé sa tête de son corps ? »

Le faucon aux ongles de fer devint furieux et reprit son essor. Il s’éleva dans les hauteurs de l’air jusqu’aux bords d’un long nuage. Les nuages frémissent, les cieux grondent, le couvercle de l’air vole en éclats, l’arc d’Ukko se brise, les cornes de la lune tombent en morceaux.

Alors, le forgeron Ilmarinen prit la tête du poisson et l’offrit en présent à sa belle-mère, et il lui dit : « Tu auras dans cette tête un siége éternel pour la tupa[1] de Pohjola. »

Et le forgeron dit encore : « J’ai labouré le champ de vipères, j’ai creusé des sillons dans le champ rempli de serpents, j’ai bridé les loups de Manala, les ours de Tuoni ; j’ai pris le grand brochet couvert d’écailles, le gras poisson aux rapides nageoires, dans le fleuve de Tuoni, dans les gouffres de Manala ; la jeune fille me sera-t-elle

  1. Voir page 37, note 2.