Le runoia chante rarement seul ; il s’adjoint d’ordinaire un compagnon. Alors, se plaçant en face l’un de l’autre, les mains dans les mains, et se balançant doucement, ils chantent durant de longues heures, sans jamais s’interrompre[1]. Souvent, après un début calme, ils s’enflamment, ils se défient, ils font des paris ; celui dont la mémoire fléchit le plus vite est déclaré vaincu. Certains runoiat d’un ordre inférieur et moins consciencieux n’hésitent point, en pareil cas, pour prolonger la lutte, à ajouter à la runo traditionnelle des strophes de leur façon ; mais les grands runoiat dédaignent ces artifices : ils suivent fidèlement le texte jusqu’au bout, et, comme leur mémoire est inépuisable, la nuit les surprend presque toujours au milieu de leur combat, et le sommeil seul vient y mettre fin.
J’ai dit que dans plusieurs localités la bonne volonté des runoiat s’achète à prix d’argent. Ceci ne s’applique guère, il est vrai, qu’à ceux dont la science est faible et qui se bornent à chanter des runot communes. Quant aux runoiat supérieurs, aux grands maîtres dans les mystères antiques, ils sont généralement moins intéressés ; il