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elle dit : « Lève-toi maintenant et cesse de rêver dans ces lieux cruels, dans ce lit de malheur. »

Le héros s’éveilla de ses rêves : il se leva, et sa langue commença à remuer, et il dit : « J’ai longtemps dormi, j’ai longtemps reposé, pauvre infortuné, enseveli dans un doux sommeil, dans un lourd repos[1]. »

La mère de Lemminkäinen dit : « Tu serais demeuré là bien plus longtemps encore, si ta mère, si la malheureuse qui t’a enfanté n’était venue à ton secours.

« Dis-moi, maintenant, mon pauvre enfant, dis-moi qui ta poussé dans Manala, qui t’a précipité dans le fleuve de Tuoni ? »

Le joyeux Lemminkäinen répondit : « Le berger au chapeau humide, le vieil aveugle d’Untamola[2], tel est celui qui m’a poussé dans Manala, qui m’a précipité dans le fleuve de Tuoni. Et il a envoyé contre moi du fond des eaux un serpent monstrueux, et je n’ai pu, hélas ! me soustraire à mon sort, car j’ignorais les perfides exploits du serpent, les morsures fatales de la bête venimeuse[3]. »

La mère de Lemminkäinen dit : « Insensé que tu es

  1. On trouve chez les Samoïèdes, peuple de même race que les Finnois, une légende où la résurrection d’un mort donne lieu à des singularités tout aussi étranges que celle de Lemminkainen. Il s’agit d’un cadavre abandonné dans un lieu désert qui, après avoir pourri pendant tout l’été, devient la proie des renards et des loups ; ses os seuls sont épargnés. Un vieillard se présente, un vieillard n’ayant qu’une seule main, qu’un seul pied, un seul œil. Il ramasse les os et jusqu’aux plus petits débris, les met dans un sac qu’il charge sur son épaule et part. Après avoir marché quelque temps, il arrive près d’une grosse pierre ; il la repousse du pied et descend dans une sombre caverne. Autour de lui retentissent des cris, des sifflements, des chants ; on cherche à lui enlever son sac. Le vieillard aperçoit une lumière qui le guide vers une tente dans laquelle il ne trouve pour tout habitant qu’une femme assise près du foyer. Le vieillard dépose son sac par terre, et lui dit : « Voici du bois à brûler, jette-le au feu. » La femme jeta les os au feu et les laissa réduire en cendres. Puis elle recueillit ces cendres et les sema sur son lit, s’y coucha et s’endormit. Or, au bout de trois jours, les cendres s’animèrent et il en surgit un homme qui se mit à parler comme s’il s’éveillait d’un long sommeil.
  2. Demeure du Sommeil, surnom de Pohjola.
  3. C’est-à-dire les paroles originelles, les paroles créatrices du serpent, Wesikaarmeen-sanat. Voir page 121, note 2.