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quatorzième runo

et il dit : « Malheur à moi d’avoir oublié de demander à ma mère, à celle qui m’a porté dans son sein, deux paroles, trois paroles, même, si le péril devenait trop grand[1]. Comment exister, comment vivre au milieu de ces mauvais jours ? J’ignore les perfides exploits du serpent, les morsures fatales de la bête venimeuse[2].

« Ô ma mère, ô toi qui m’as porté dans ton sein, qui m’as nourri avec tant de tendresse, si tu savais, si tu apprenais où se trouve maintenant ton malheureux fils, tu accourrais certainement à son aide, tu viendrais l’arracher à la mort, l’empêcher lui, si jeune encore, de succomber dans ce funeste voyage ! »

Le berger, au chapeau mouillé, le vieil aveugle de Pohja, précipita Lemmikäinen, enfonça le fils de Kaleva dans les abîmes du fleuve de Tuoni, aux ondes noires, dans le tourbillon le plus meurtrier de la cataracte ; et le joyeux Lemmikäinen y roula bruyamment, au milieu des flots d’écume, jusqu’aux plus intimes profondeurs. Alors, le fils sanglant de Tuoni frappa le héros de son glaive, de sa pointe acérée, de sa lame fulgurante, et il partagea son corps en cinq, en huit morceaux, et il les dispersa à travers les ondes funèbres de Manala, et il dit : « Va, flotte, maintenant, à tout jamais sur ces ondes avec ton arc, avec tes flèches, et tire, si tu peux, les cygnes du fleuve, les oiseaux qui fréquentent ses rives. »

Ainsi finit le joyeux Lemmikäinen, ainsi se termina la carrière du téméraire prétendant, dans le fleuve noir de Tuoni, dans les sombres abîmes de Manala.

  1. Il s’agit ici des formules magiques au moyen desquelles Lemmikäinen se serait soustrait à l’attaque du serpent. Le serpent joue, dans la magie finnoise, un très-grand rôle.
  2. C’est-à-dire j’ignore les paroles magiques propres à conjurer les perfides exploits du serpent.