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vette, et il se mit à construire le bateau, à fabriquer la barque aux mille planches, sur un roc d’acier, sur une dalle de fer.

Il charpentait avec une confiance superbe, avec une fierté menaçante. Il charpenta un jour, il charpenta deux jours, il charpenta presque trois jours ; et la hache ne toucha point la dalle, et la tête d’acier ne heurta point contre le rocher.

Mais, vers le soir du troisième jour, Hiisi[1] fit osciller l’extrémité du manche, Lempo[2] tira à lui le tranchant, Paha[3] fit dévier le coup. Alors, la hache toucha les dalles, la tête d’acier heurta contre le rocher, et elle glissa, et elle alla fendre le genou du héros, le doigt du pied de Wäinämöinen. Lempo l’enfonça dans la chair, Hiisi la poussa à travers les veines, et le sang se mit à couler, le sang chaud jaillit en bouillonnant.

Le vieux, l’imperturbable Wäinämöinen, le runoia éternel, prit la parole et dit : « Ô hache, à croissant d’acier, tu as cru mordre dans le bois, tu as cru labourer le sapin, creuser le pin, fendre le bouleau ; et tu as déchiré ma chair, tu t’es précipitée à travers mes veines ! »

Et il commença à dérouler ses incantations, à chanter les paroles originelles et fondamentales, les runot de la science. Mais il ne put se rappeler les grandes paroles, les paroles révélatrices du fer, celles qui seules pouvaient fermer la plaie béante, guérir les coups que l’acier bleu avait portés[4].

Le sang déborde en torrents, le sang chaud mugit comme une cataracte. Les tiges des baies qui s’élèvent sur la terre, les fleurs qui s’épanouissent au milieu des

  1. V. page 50, note 1.
  2. V. page 50, note 1.
  3. Personnification du mal.
  4. D’après les runot, la médecine ou plutôt la magie médicale, chez les Finnois, ne pouvait opérer avec succès que lorsqu’elle connaissait préalablement la cause primitive, l’origine du mal.