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le kalevala

« Si tu tirais sur Wäinämöinen, si tu tuais Kalevalainen, soudain la joie disparaîtrait de la vie, le chant s’exilerait de la terre. Or, la joie est meilleure dans la vie, le chant est plus agréable sur la terre, que dans le royaume de Manala[1], dans les demeures de Tuonela[2]. »

Alors, le jeune Joukahainen s’arrêta un instant, pensif et indécis. Une main l’excitait à tirer, l’autre main le retenait ; ses doigts nerveux lui brûlaient comme du feu.

Enfin, il dit :

« Qu’elles disparaissent, lors même qu’elles seraient mille fois plus belles, les heures joyeuses de la vie ! Que tous les chants fassent silence ! Je n’en prends nul souci ; je n’en tirerai pas moins sur le vieux Wäinämöinen. »

Et il banda son arc flamboyant. Puis, il tira de son carquois de peau une flèche ailée, la plus forte flèche, la meilleure tige, et il la plaça sur le sillon fatal, à l’angle de la corde tendue.

Et il appuya l’arc contre son épaule droite, et, en s’apprêtant à tirer sur Wäinämöinen, il dit :

« Pars, maintenant, ô pointe de bouleau, frappe ô arc de sapin, déchire, corde de lin ! Si ma main lance la flèche trop bas, qu’elle monte plus haut ! Si ma main la lance trop haut, qu’elle tombe plus bas ! »

Et Joukahainen lâcha la détente. La flèche vola trop haut ; elle vola par-dessus la tête de Wäinämöinen, jusqu’au ciel, jusqu’aux sources de la pluie, jusqu’aux nuées qui tourbillonnent.

Joukahainen tira une seconde fois. La flèche tomba trop bas : elle pénétra jusqu’aux profondeurs de la terre, et la terre faillit s’abîmer dans ses entrailles, et les rochers se fendirent.

    tourner plus facilement son fils de son méchant dessein. Les runot sont pleines de mystères.

  1. V. page 38, note 2.
  2. V. page 38, note 3.