Page:Léouzon le Duc - Le Kalevala, 1867.djvu/96

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
38
le kalevala

fond de la mer, de demeurer sous les vagues, comme sœur des poissons, comme parente des habitants de l’onde, que d’être destinée à soigner le vieillard, à soutenir celui qui chancelle, celui qui tombe dans son bas[1], et en se heurtant contre la plus petite branche coupée. »

Cependant Aino monta dans l’aitta bâtie sur la colline ; elle ouvrit le meilleur coffre, et en retira les six ceintures d’or, les sept jupes bleues. Puis elle s’en revêtit, et elle couronna ses tempes d’une parure d’or, elle entrelaça ses cheveux de fils d’argent ; elle ceignit son front d’un bandeau de soie bleue, sa tête d’un ruban rouge.

Et elle se mit à parcourir les champs et les marais, les forêts défrichées et les vastes déserts, et, dans sa course vagabonde, elle chantait :

« Je souffre dans mon cœur, je souffre dans ma tête. Mais ce n’est point encore assez. Que ne puis-je souffrir mille fois davantage ! car alors la mort viendrait me délivrer de mes misères. Oui, il serait temps pour moi de quitter ce monde et de descendre dans les profondeurs de Mana[2], dans les abîmes de Tuonela[3]. Mon père ne pleurerait point, ma mère ne trouverait point que c’est mal, les joues de ma sœur ne se mouilleraient d’aucune larme, les yeux de mon frère resteraient secs, lors même que je roulerais au fond de la mer, que je tomberais dans l’onde poissonneuse, sous les vagues profondes, au milieu de la vase noire. »

Aino marcha un jour, marcha deux jours. Le troisième jour, la mer déroula devant elle ses rivages couverts de roseaux ; et la nuit vint suspendre sa course, les ténèbres la forcèrent de s’arrêter.

Elle pleura tout le soir, elle se lamenta toute la nuit,

  1. À chaque pas. Idiotisme finnois.
  2. Les entrailles de la terre.
  3. Région des morts.