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sixième runo

habitations ; il gravit jusqu’à la cime d’un promontoire flamboyant, il pénétra au sein des écueils orageux, près de la cataracte de feu[1], du tourbillon du fleuve sacré.

Enfin, un jour, un matin, il leva les yeux vers le nord-ouest, il tourna la tête du côté du soleil, et il aperçut une tache noire sur la mer, un point bleu sur les vagues.

« Est-ce un nuage qui s’élève à l’orient, ou le crépuscule du matin qui annonce l’aurore ? »

Ce n’était point un nuage de l’orient, ce n’était point le crépuscule du matin, c’était le vieux Wäinämöinen, le runoia éternel, qui se rendait à Pohjola, qui se dirigeait vers Pimentola[2], sur son coursier léger comme la paille, svelte comme une tige de pois.

Alors, le jeune Joukahainen, le maigre garçon de Laponie, saisit son arc, son bel arc, pour le compte de la tête de Wäinämöinen, pour la mort de Suvantolainen.

Sa mère, sa nourrice lui dit :

« Pour qui te précipites-tu ainsi avec ton arc, ton arc de fer ? »

Le jeune Joukahainen répondit :

« Je me précipite avec mon arc, mon arc de fer, pour le compte de la tête de Wäinämöinen, pour la mort de Suvantolainen. Je tirerai sur le vieux Wäinämöinen, je lancerai mes flèches à travers le cœur du runoia éternel, à travers son foie, à travers la chair de ses épaules. »

Sa mère s’efforça de le détourner de son dessein.

« Ne tire point sur Wäimämöinen, ne détruis point Kalevalainen ! Wäinö est de haute origine, il est le fils de la fille de mon beau-frère[3].

  1. Voir page 15, note 1.
  2. Région ténébreuse, de Pimiä, ténèbres.
  3. Chez les Finnois, les mariages ne se contractaient jamais qu’entre jeunes gens de tribus différentes ou même ennemies. À ce point de vue, la parenté supposée par la mère de Joukahainen entre Wäinämöinen et sa famille n’a donc rien que de vraisemblable. Nous savons, toutefois, par la première runo, que Wäinämöinen est né de Luonnotar, fille d’Ilma. Comment accorder cette filiation avec celle que lui prête la mère de Joukahainen ? Peut-être a-t-elle recours à cette fiction pour dé-