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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


phores, pénétrante comme l’acier. L’affaire même lui paraissait obscure. « Pour que Dreyfus ait été arrêté sous l’inculpation de haute trahison, il a fallu des commencements de preuves terribles. » D’autre part, point d’explication au crime, pas de femme dans l’affaire, pas de besoin d’argent, et « l’accusé, homme d’une haute culture, d’un patriotisme exalté ». Mais l’accusé proteste de son innocence : cela suffit. Ranc comprendrait le huis clos si Dreyfus avouait ; or, il n’en est rien. Dès lors, le grand jour de la publicité s’impose, « Qu’on ne nous parle pas de l’intérêt de la défense nationale. Rien de plus facile, si c’est nécessaire, que d’interdire la reproduction de certaines pièces, ou même, pendant la lecture de ces pièces, de faire évacuer la salle. On ne condamne pas un officier accusé d’un crime sans excuse ni atténuation possible, on ne l’acquitte pas après des débats secrets[1]. » Et il insista : « S’il est vrai que Dreyfus se renferme dans d’absolues dénégations, il faut qu’accusation et défense, tout soit connu[2]. »

Cassagnac passait pour l’auteur du mot heureux : le huis clos du champ de Mars[3]. Il l’amplifia avec véhémence : « Prendre à un homme, à un soldat, son honneur et sa vie sans dire pourquoi ? La raison humaine interdit un pareil retour aux plus sombres traditions des tribunaux secrets de l’Espagne et des Pays-Bas. Le gouvernement de la République renouvelant et aggravant les mystérieuses et inavouables procédures de l’Inquisition et de la Sainte-Vehme, quand il s’agit d’un officier français, et par pusillanimité ! C’est impossible, ce serait trop igno-

  1. Paris du 13 novembre 1894.
  2. Paris du 29 novembre.
  3. Il avait déjà repoussé le huis clos dans un premier article du 13 novembre. (Autorité du 14 ; journal antidaté.) — Voir plus haut, p.333.