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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


terhazy, puisqu’il n’a pas supprimé la pièce, et ce soldat s’est fait criminel pour sauver « l’honneur du bureau ».

Si, au contraire, il a menti, si le bordereau a été reçu, reconstitué par un autre, Henry est complice[1].

Ces déductions, cette hypothèse, qui devint aussitôt une presque certitude pour la plupart des revisionnistes[2], tant elle expliquait tout l’obscur du drame, causèrent une irritation extrême parmi les anciens camarades d’Henry. Ils ne voulaient même plus qu’il eût été un faussaire ; son faux n’était qu’une ruse de guerre. Les journaux crièrent au sacrilège[3].

Mon article avait à peine paru que les confirmations affluèrent de toutes parts. Panizzardi et l’attaché militaire de Russie en Suisse, le général de Rosen, tenaient de Schwarzkoppen qu’Esterhazy lui avait nommé Henry comme son pourvoyeur[4]. Je connus les lettres d’Esterhazy à Jules Roche[5] ; les dépenses d’Henry

  1. Siècle du 7 novembre 1898 : Henry et Esterhazy. (Tout le Crime, 10 à 42.)
  2. Jaurès (6 décembre 1898, 28 janvier 1899), etc.), Clemenceau (10 novembre, 7 décembre 1898, 27 janvier 1899), Ranc, Monod, le docteur Gibert, Mathieu Dreyfus. Scheurer m’écrivit que j’avais « si bien marié Esterhazy et Henry que rien ne les séparerait plus ». De même Zola. Il avait longtemps objecté au marquis Paulucci, qui lui affirmait la culpabilité d’Henry : « C’est un homme du peuple. » Il m’écrivit que, dans sa lettre à Félix Faure, il avait voulu nommer Henry, puis, dans l’incertitude, l’avait passé sous silence. (Voir Appendice III.) Dans son roman à clef (Vérité), il fait d’Henry l’associé d’Esterhazy.
  3. Libre Parole du 8 novembre 1898 : « Au long de dix colonnes de la feuille publique d’Yves Guyot, l’immonde gorille Reinach déposait hier des ordures… Il est répugnant de triturer ces déjections du plus méprisé des youtres… etc.
  4. Voir t. II, 74. — La conversation de Schwarzkoppen avec Rosen me fut rapportée par l’écrivain Pavlowsky ; il tenait le récit du baron Yonine, ministre de Russie en Suisse, et le répétait à qui voulait l’entendre, sans qu’aucun démenti n’intervînt (Séménoff, Européen du 8 janvier 1904).
  5. Cass., I, 709. (Voir t. II, 482.)