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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


dant que ce n’étaient pas des choses à faire connaître aux civils. D’ailleurs, Roget lui avait fait « une démonstration sur l’auteur du bordereau »[1] et le temps pressait. Le 10 septembre, il transmit à Sarrien « son avis motivé et définitif » sur Dreyfus[2], et Roget en informa la presse, coupa les ponts.

Le coup fut rude à Brisson, ce revirement en quatre jours, nul avis préalable, comme au moins la courtoisie l’eût exigé, cette dure formule, rendue aussitôt publique, où Zurlinden s’enfermait, la duplicité de ce soldat, à la figure poupine et rose, qui lui avait inspiré tant de confiance, et la perception aiguë de ses propres fautes. Au soir, déjà terriblement lointain, des aveux d’Henry, la victoire s’était offerte à lui ; « tout le monde, alors, acceptait la Revision »[3]. Maintenant, le vent avait tourné ; demain, après l’imminente démission de Zurlinden confirmant celle de Cavaignac, il soufflera de nouveau en tempête.

Dans les quelques heures qui restaient à Brisson avant la réunion du Conseil, Bourgeois lui fut d’un grand secours. Il acheva de décider Maruéjouls et Trouillot, retint Peytral, Viger et Lockroy, soutint Sarrien ; il échoua seulement avec Tillaye, à demi-nationaliste, qui s’abritait, en bon normand, derrière des chicanes juridiques. Bourgeois, par son charme personnel et les ressources d’un esprit ingénieux et subtil, excellait dans ce genre de négociations.

Sarrien, à qui Zurlinden n’avait remis que le dossier judiciaire de Dreyfus, lui réclama le dossier secret, « celui qui avait été montré aux juges en chambre du conseil ». Comme Mercier avait successivement détruit

  1. Zurlinden, Ma Réponse.
  2. Revision, 239, lettre à Sarrien.
  3. Voir p. 223.