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CAVAIGNAC MINISTRE

Cavaignac accepta aussitôt que ces quatre notes, qu’on ne possédait pas, sur des sujets dont toute la presse s’était entretenue à l’époque, « traduisaient la vie même de l’état-major général pendant les mois de juillet et d’août 1894[1] ». Il fallait néanmoins que le bordereau, « en tant que document matériel »[2], fût de quelqu’un — de l’écriture naturelle de Dreyfus, selon Teyssonnières, ou de l’écriture naturelle d’Esterhazy, selon les paléographes de l’École des Chartes, auto-forgé par Dreyfus, selon Bertillon, ou décalqué sur l’écriture d’Esterhazy, selon Couard, Belhomme et Varinard. — Et, comme il était à la fois logique et stupide, docile et rebelle aux influences, il aboutit à une hypothèse qui conciliait tout, le témoignage de ses propres yeux (le bordereau écrit par Esterhazy) et la démonstration des chefs militaires (la prétendue impossibilité pour Esterhazy de se procurer les renseignements), — c’est-à-dire la complicité de Dreyfus, le vrai traître, et d’Esterhazy, scripteur du bordereau et vulgaire intermédiaire[3].

Cette absurdité s’incrusta d’autant plus aisément dans

  1. Cass., I, 20, Cavaignac.
  2. Ibid., I, 15, 23, 24 ; Rennes, I, 191, Cavaignac.
  3. Cass., I, 24, Cavaignac : « Alors même qu’il me serait démontré que le bordereau a été matériellement écrit par Esterhazy, je n’en déclarerais pas moins qu’il est impossible qu’il soit l’auteur de l’acte de trahison. Il n’y a, par conséquent, pas de conclusion à en tirer en faveur de l’innocence de Dreyfus. » Rennes, I, 189 : « Alors même qu’il serait établi que les documents ont été portés par le commandant Esterhazy, il n’aurait pu être, dans la circonstance, qu’un intermédiaire ou qu’un complice secondaire. » — Voir p. 21, le passage de son discours du 7 juillet 1898 où il indique la même thèse, bien qu’avec des précautions. — Je tiens de plusieurs de ses amis qu’il leur a expliqué toute l’affaire par la complicité d’Esterhazy et de Dreyfus. — À Rennes (I, 276), Roget répète presque textuellement la phrase de Cavaignac : « Si on venait me prouver qu’Esterhazy a écrit le bordereau… »