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CAVAIGNAC MINISTRE


sincère, et qui le parut même à ceux qui le détestaient le plus[1].

Tout ce qu’il dit, dans ce discours, il le pensait, et ce qu’il pensait sans l’oser dire, il l’insinua, fidèle au plan qu’il avait arrêté.

Ainsi, il ne posa point la question, comme le bon sens et l’évidence le voulaient, entre Dreyfus et Esterhazy ; mais, parce qu’il les croyait complices, il expliqua en ces termes l’acquittement d’Esterhazy : « Les juges ont estimé qu’on ne leur apportait pas la preuve du crime qui était imputé à cet officier et qui, d’ailleurs, n’eût pas innocenté Dreyfus. »

C’est-à-dire, comme il ne se lassera pas de le répéter plus tard, que Dreyfus resterait le traître, alors même qu’Esterhazy serait reconnu l’auteur du bordereau.

La gauche applaudit à cette effroyable sottise ; à droite, Cassagnac s’écria que « c’était la vérité ».

On peut croire que ces représentants de la nation, monarchistes et républicains, ne comprenaient pas ce qu’ils applaudissaient, sauf que Cavaignac les allait débarrasser à la fois du juif et du uhlan.

Le nom même d’Esterhazy ne souilla pas ses lèvres : « On a tenté de substituer à Dreyfus un officier qui sera frappé demain des peines disciplinaires qu’il a méritées. »

Et toute la gauche, avec l’extrême-gauche, éclata en bravos, parce que les adversaires républicains de la revision étaient las de s’entendre appeler « esterhazistes » par les défenseurs de Dreyfus et que l’auteur des lettres à Mme de Boulancy avait fini par leur répugner.

La droite fut étonnée, mais sans qu’il s’y trouvât

  1. Aurore du 8 juillet 1898.