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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


cours européennes étaient convaincues de l’innocence de Dreyfus, que l’Empereur d’Autriche l’avait attestée à la duchesse[1].

En dehors des cléricaux et d’une vingtaine de radicaux qui pactisaient avec les nationalistes, le Sénat inclinait à la Revision. Il fallait la démence de Cavaignac pour supposer que ce Sénat, constitué en Haute Cour de Justice, frapperait quelques-uns des siens, et avec eux Picquart et les journalistes républicains, pour un complot imaginaire.

Cependant il s’en flattait, comptant sur l’ascendant de sa popularité, sur la peur, et s’appuyant sur ce qu’il croyait un précédent, la condamnation de Boulanger et de ses complices[2], comme si la Haute Cour, ce jour-là, avait été le tribunal révolutionnaire et n’avait condamné que des ennemis politiques[3].

Déjà à plusieurs reprises, soit au Conseil, soit dans des conversations particulières, il avait fait valoir « les considérations politiques qui commandaient une action

  1. Je publiai dans le Siècle du 18 juillet 1898 le récit de cette conversation que je tenait de Ranc. Le fils de Buffet et le comte de Blois protestèrent que la duchesse d’Orléans avait « sur l’Affaire une opinion absolument conforme à celle du duc ». Ranc maintint son récit ; Volland distingua : le comte de Blois avait bien dit, d’après la duchesse, que les cours de Copenhague et de Vienne tenaient pour la Revision : il n’avait point dit que la duchesse elle-même fût convaincue de l’innocence de Dreyfus. — Ranc revint sur l’incident, après les aveux d’Henry. (Matin du 27 sept. 1898.)
  2. Note de Cavaignac sur la mise en accusation d’un certain nombre de personnes devant la Haute Cour (§ 1). — Voir Appendice 1.
  3. Ç’avait été la théorie de Clemenceau contre moi dans le débat sur l’interdiction de Thermidor : « Ah ! vous n’êtes pas pour le tribunal révolutionnaire, monsieur Reinach ! mais vous avez la mémoire courte, il n’y a pas longtemps nous en avons fait un ensemble, un tribunal révolutionnaire ! » (Chambre des députés, séance du 30 janvier 1891.) Je protestait vivement.