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CAVAIGNAC MINISTRE


lement à grandir sa renommée par un mensonge et à se sauver par une lâcheté. Labori s’était plaint aux assises que Picquart se fût enfermé dans une discipline trop étroite[1] ; maintenant que le joug de la discipline ne pesait plus sur lui (Billot ayant commis la sottise de ne pas tenir « les promesses perfides » de Gonse), la tentation eût pu lui venir d’amplifier son personnage dans le passé ; Alsacien, les gasconnades lui répugnaient[2]. On peut le blâmer soit d’avoir parlé à Leblois, soit d’avoir tant tardé à parler. Il n’y a pas une ombre à sa véracité.

Cette grande cause, la Justice, comme cette autre grande cause, la Patrie, a eu ses chauvins. Les gens qui professent ce genre de sentiments exagérés et ridicules gâtent tout ce qu’ils touchent. Picquart, à la guerre, n’eût pas été un général de cirque, quelque écuyer empanaché faisant des moulinets avec son sabre. Il n’a pas été davantage le conspirateur ténébreux qui attend dans l’ombre le jour marqué.

Le juge n’était point mal disposé ; il avait hésité à arrêter Picquart ; mais, comme Brisson, il croyait Dreyfus coupable, et, parce que les indiscrétions de Picquart et de Leblois ne pouvaient être juridiquement innocentées que par l’innocence de Dreyfus[3], il fit sienne l’accusation : « Il n’est pas plus permis de communiquer des pièces ou des renseignements secrets à un avocat qu’à une autre personne ; la loi ne distingue

  1. Procès Zola. II, 346, Labori. — Voir t. III, 376.
  2. Aurore du 10 avril 1903 : « Lorsque je fus envoyé en Tunisie après la découverte de la trahison d’Esterhazy, je ne passai pas mon temps à rester hypnotisé par l’affaire Dreyfus, comme on l’a prétendu si souvent à l’État-Major. » — La formule était de Gonse. (Procès Zola, I, 307 ; Instr. Fabre, 17.)
  3. Voir p. 163.