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LA MORT D’HENRY


indiscrétions, des tribunaux militaires[1]. En conséquence, il requit le juge civil de se déclarer incompétent sur ces charges en ce qui concernait Picquart, d’en innocenter Leblois par un non-lieu, et de les renvoyer devant le tribunal correctionnel, Picquart pour avoir donné connaissance à Leblois, « personne non qualifiée », des renseignements tirés du dossier secret de Dreyfus, et Leblois pour en avoir donné connaissance à Scheurer[2].

Fabre adopta ce réquisitoire[3] qui eût pu être signé d’Henry, mais parfaitement juridique.

L’équité et le droit semblent parfois inconciliables ; il les faut concilier pourtant, ou la justice n’est qu’un vain mot. Le fait tout nu peut être délictueux sans que la pensée qui l’a dicté le soit. Quel est alors le devoir du juge ? Le fait par Picquart d’avoir divulgué le résultat d’une enquête poursuivie dans l’exercice de ses fonctions tombait, sans aucun doute possible, sous le coup de la loi sur l’espionnage. Cette même loi, Picquart lui-même avait conseillé à Boisdeffre de l’invoquer contre des journalistes pour avoir révélé l’une des pièces secrètes, la même qu’il était accusé maintenant d’avoir montrée à Leblois[4]. La lettre de la loi était donc formelle[5].

  1. C’est ce qui fut confirmé par l’arrêt de la Cour de cassation en règlement de juges, 3 mars 1898.
  2. Instr. Fabre, 217, 218.
  3. Ordonnance de renvoi du 25 août 1898.
  4. Procès Zola, I, 287, 318 ; Instr. Fabre, 75 ; Cass., I, 166 ; Rennes, I, 440, Picquart. — Voir t. II, 358.
  5. Picquart et Leblois s’étant pourvus en règlement de juges, comme on le verra, devant la Cour de cassation, celle-ci les renvoya devant la chambre des mises en accusation sur le chef de communication du dossier Dreyfus-Esterhazy ; cette chambre rendit alors (13 juin 1899) une ordonnance de non lieu, mais qui était fondée uniquement en fait, c’est-à-dire sur l’arrêt du 3 Juin 1899 qui ordonnait la revision du procès Dreyfus :« Considérant que de cette décision résulte quant à présent, à l’égard