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LE PROCÈS ZOLA

Scheurer eût voulu donner lecture des lettres de Gonse et de Picquart ; le président s’y opposa. Je les publiai le lendemain[1].

Elles produisirent une grande impression sur tous les esprits réfléchis. Rien ne contribua plus à éclairer le rôle de Picquart. On ne sut que vanter davantage, de sa clairvoyance, qui avait prévu une telle crise, ou de sa loyauté, qui avait cherché à l’empêcher. Pourtant, ces lettres du jeune colonel, qui, seul, avait eu la vision de l’honneur et de l’intérêt véritable, et celles de Gonse, d’une hypocrisie si cauteleuse, venaient trop tard ; l’ennemi s’était préparé à en recevoir le choc, comme d’un escadron de cavalerie qui a laissé aux batteries d’artillerie le temps d’entrer en ligne.

Casimir-Perier avait écrit, la veille, à Delegorgue : « Si j’étais interrogé sur les faits qui se sont produits alors que j’occupais la présidence de la République, l’irresponsabilité constitutionnelle m’imposerait le silence. » Il déclara, en conséquence, qu’il ne pouvait pas prêter serment de dire « toute la vérité ». Thèse contestable, puisqu’il y renonça lui-même par la suite ; au surplus, ce jour-là, sans application pratique, puisqu’il ne savait rien d’Esterhazy et que Delegorgue refusait de poser les questions relatives à Dreyfus. Mais Casimir-Perier ayant ajouté : « Je suis un simple citoyen et aux ordres de la justice de mon pays ! » les revision-

  1. Picquart avait autorisé Scheurer à en donner lecture à la barre. Pour la publication dans les journaux, il lui dit de faire à sa guise, qu’il n’interviendrait pas. C’est ce que me dit Scheurer après l’audience. J’envoyai aussitôt des copies au Siècle, à l’Aurore, à la Petite République, au Radical, etc. Picquart, en effet, ne protesta pas. S’il dit, plus tard, « qu’il s’était opposé de la façon la plus absolue à cette publication » (I, 318), cela était vrai pour la période qui avait précédé le procès de Zola. (Voir p. 148.)