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 Vous les avez plantés et ils ont jeté leur racine ; ils ont engendré des enfants, et ils se sont couverts de fruits ; vous êtes près de leur bouche et loin de leurs reins. » [1]. Habacuc dit dans la même pensée : « Vos yeux sont purs, Seigneur, et je sais que vous ne regardez pas volontiers le mal et l’iniquité, et que personne ne peut douter de votre justice. Pourquoi néanmoins souffrez-vous que les Babyloniens s’enorgueillissent de leur cruauté inouïe, et que l’impie Nabuchodonosor opprime le juste Israël ? Ce n’est pas que l’opprimé soit parfaitement juste, mais il est plus juste que celui qui l’opprime. De même que les poissons qui n’ont pas de prince, et les bêtes sans raison, et la multitude des reptiles, délaissés de la Providence, sont soumis au plus fort, celui qui a le plus de force dominant sur les autres, de même parmi les hommes, animaux raisonnables, créés à la ressemblance de leur auteur divin, l’empire restera-t-il, non pas à la raison et aux mérites, mais aux forces du corps, à la force brutale ? Si, d’autre part, nous voulons faire une application générale à la Providence de cette plainte du Prophète : Pourquoi le diable prévaut-il à ce point en ce monde, et pendant que Dieu règne, un autre exerce-t-il la tyrannie ? le sens sera celui-ci et on joindra cette explication à celles qui précèdent : Je sais, Seigneur, mon Dieu, seul saint pour moi, que c’est grâce à votre Providence et à votre tutelle que nous ne mourons pas, et je n’oublie pas que vous avez établi notre ennemi comme une sorte de bourreau, avec le dessein, non pas de faire mourir, mais de corriger les pécheurs. Je sais que rien d’injuste ne vous plaît, que vos yeux sont trop purs pour tolérer l’iniquité, et que vous ne pouvez voir les douleurs des victimes de l’injustice. Je ne puis néanmoins m’expliquer pourquoi le criminel Caïn met à mort le juste Abel, et vous gardez le silence ? pourquoi la baleine, ravageant et dévorant tout, dévore non seulement les petits poissons, — mais aussi votre Jonas lui-même ? [2] ; pourquoi l’impie est triomphant et le juste vaincu ? Je ne veux pas dire qu’il y ait quelqu’un qui puisse être justifié en votre présence et être sans péché – je connais trop la fragilité humaine ; – mais, comme Sodome et Gomorrhe paraissaient justes en comparaison de Jérusalem, et comme le publicain de l’Évangile est trouvé plus juste que le pharisien à qui on le compare, [3], ainsi celui que le diable opprime est pécheur sans doute, mais il est plus juste que son oppresseur. Pourquoi donc n’y a-t-il pas un poids et une mesure, afin que s’il advient que le juste soit opprimé et dominé, ce soit, non par l’impie, mais par un autre plus juste que lui ? Dirai-je qu’il y a quelque chose qui peut se faire sans vous, et que c’est contre votre volonté que l’impie a une puissance si grande ? Un tel langage sent le blasphème. Puisque vous êtes le souverain et le Seigneur de l’univers, vous faites évidemment ce qui ne peut se faire sans vous. Le Prophète, en parlant ainsi, n’exprime pas son propre sentiment, comme nous l’avons

  1. Jer. 12, 1-2
  2. Jon. 2, 1
  3. Luc. 18, 1