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nous », disait-il, « afin de mourir avec lui ». (Idem, 11,16) L’attente de la mort lui était pénible. Mais si, étant avec lui, il s’attendait à mourir et s’en effrayait pourtant, à quoi, séparé de lui et des autres disciples, n’aurait-il pas dû s’attendre ? Et c’eût été d’ailleurs une grande preuve d’impudence. Qu’auraient-ils eu à dire ? Le monde entier connaissait la Passion ; le Christ avait été suspendu au gibet en plein jour, dans une capitale, pendant la fête principale, celle dont il était le moins permis de s’absenter ; mais aucun étranger ne connaissait la résurrection : ce qui n’était pas un petit obstacle au succès de leur prédication. La rumeur disait partout qu’il avait été enseveli ; les soldats et tous les Juifs affirmaient que son corps avait été enlevé par ses disciples ; mais aucun étranger ne savait qu’il fût ressuscité. Comment auraient-ils espéré en convaincre l’univers ? Si on avait pu déterminer des soldats, malgré des miracles, à attester le contraire, comment sans miracle auraient-ils eu la confiance de prêcher, et pu croire, eux qui n’avaient pas une obole, qu’ils persuaderaient le monde entier de la résurrection ?
S’ils agissaient par ambition de la gloire, ils se seraient attribué leur doctrine bien plutôt qu’à un mort. Mais on ne l’aurait point acceptée, dit-on. Et de qui l’eût-on plutôt acceptée ou d’un homme qui avait été pris et crucifié, ou d’eux qui avaient échappé aux mains des Juifs ? Et pourquoi, de grâce, s’ils devaient prêcher, ne pas quitter aussitôt la Judée, et se rendre dans les villes étrangères, au lieu de rester dans le pays ? Et comment auraient-ils fait des disciples, s’ils n’eussent opéré des miracles ? Or, s’ils faisaient des miracles (et ils en faisaient), ce ne pouvait, être que par la puissance de Dieu ; et s’ils eussent triomphé sans en faire, c’eût été bien plus étonnant encore. Ne connaissaient-ils pas, dites-moi, le peuple juif, ses mauvaises dispositions, son esprit de jalousie ?
Ils avaient lapidé Moïse après le passage de la mer à pied sec, après cette victoire, après ce trophée remporté contre les Égyptiens, leurs oppresseurs, par les mains de ce grand homme sans effusion d’une goutte de sang ; après avoir mangé la manne ; après avoir vu des torrents d’eau couler du rocher ; après les mille prodiges de l’Égypte, de la mer Rouge et du désert, ils avaient jeté Jérémie dans la citerne et mis à mort beaucoup de prophètes.
Écoutez ce que dit Élie, quand il est forcé de s’éloigner du pays, après la terrible famine et la pluie miraculeuse, et la flamme qu’il a fait descendre du ciel, et le merveilleux holocauste : « Seigneur, ils ont tué vos prophètes, ils ont détruit vos autels ; je suis demeuré seul, et ils en veulent encore à ma vie ». (1R. 19,10) Et pourtant ceux-là ne touchaient point à la loi. Comment donc, dites-le-moi, aurait-on écouté les apôtres ? Car ils étaient les plus misérables des hommes, et ils prêchaient les nouveautés qui avaient valu la croix à leur maître.
Du reste, ce n’était pas une grande preuve d’habileté chez eux que de répéter ce que le Christ avait dit. On avait pu croire que le Christ agissait par amour de la gloire ; on n’en aurait que plus haï ses disciples qui reprenaient la guerre au profit d’un autre. Mais, objectera-t-on, la loi romaine les favorisait. Ils y trouvaient, au contraire, un nouvel obstacle : car les Juifs avaient dit : « Quiconque se fait roi, n’est pas l’ami de César ». (Jn. 19,12) Ainsi cela seul eût suffi à les entraver, d’être les disciples d’un homme qui était censé avoir voulu se faire roi et de soutenir son parti. Où donc auraient-ils puisé le courage de se jeter dans de tels dangers ? Que pouvaient-ils dire de lui qui fût propre à leur attirer la confiance ? Qu’il avait été crucifié ? qu’il était né d’une pauvre mère juive, mariée à un charpentier juif ? qu’il appartenait à une nation haïe du monde entier ? Mais tout cela était plus propre à irriter qu’à persuader et qu’à attirer des auditeurs, surtout dans la bouche d’un fabricant de tentes et d’un pêcheur. Et les disciples n’avaient-ils pas songé à tout cela ? Les natures timides (et telles étaient les leurs) savent s’exagérer les choses. D’où auraient-ils pu espérer le succès ? Ils en auraient désespéré au contraire, quand tant de raisons les détournaient de l’entreprise, si le Christ n’était pas ressuscité.
6. Les moins intelligents ne comprennent-ils pas que si les apôtres n’avaient reçu une grâce abondante et n’avaient eu des preuves certaines de la résurrection, non seulement ils n’eussent pas formé et entrepris un tel dessein, mais qu’ils n’en auraient pas même eu la pensée ? Et si, malgré tant d’obstacles, je ne dis pas à la réussite, mais à l’idée même de l’entreprise, ils l’ont cependant formée et réalisée au-delà, de toute espérance, n’est-il