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ses souffrances : les souffrances sont l’expiation de nos péchés ; elles sont la grande école de la vertu, et comme l’apprentissage de la philosophie. Voyons donc lequel des deux est réellement malheureux. S’il est vraiment philosophe, l’un supportera avec courage les épreuves auxquelles il est soumis ; l’autre sera nuit et jour dans les terreurs, dans la défiance. Est-ce celui-ci, ou celui-là, qui éprouve un véritable dommage ? – Vous nous contez là des fables, dites-vous ? Eh quoi ? lorsqu’un homme n’a pas de quoi manger, et que, par suite, il se lamente, il est dans les angoisses, qu’il est forcé de mendier sans que personne lui donne, est-ce qu’il ne perd pas à la fois et son âme et son corps ? – Je vous réponds : C’est vous, au contraire, qui nous débitez des fables, et moi, je vous montre là réalité. Dites-moi : parmi les riches, n’en est-il pas qui sont dans les angoisses ? Et s’il en est ainsi, ne faut-il pas dire que la pauvreté n’est pas la cause de cet état ? – Mais, du moins, dites-vous, l’un de ces deux hommes n’éprouve pas les tortures de la faim. – Qu’est-ce à dire ? Il n’en sera que plus puni, pour avoir agi comme il fa fait, malgré ses richesses. Car ni la richesse ne rend l’homme fort, ni la pauvreté ne le rend faible ; s’il en était ainsi, aucun de ceux qui vivent dans les richesses ne vivrait malheureux, et aucun de ceux qui vivent dans la pauvreté ne proférerait des imprécations contre lui-même. Mais je vais vous montrer plus clairement encore que c’est réellement de votre côté que sont les fables. Dites-moi : Paul était-il dans la pauvreté, ou dans les richesses ? Souffrait-il de la faim, ou non ? Nous pouvons ici l’entendre parler lui-même : « Dans la faim et dans la soif ». (2Cor. 11,27) Les prophètes souffraient-ils de la faim, ou non ? Eux aussi étaient dans les angoisses. – Vous me citez encore Paul, vous me citez encore les prophètes, dites-vous, c’est-à-dire une ou deux douzaines d’hommes. – D’où voulez-vous donc, que je tire mes preuves ? – Montrez-nous en quelques-uns, dites-vous, pris sur un grand nombre, qui supportent courageusement toutes ces épreuves. – De tels exemples se produisent rarement, et les bons sont toujours en petit nombre. Mais, si vous le voulez, examinons la chose en elle-même. Voyons lequel des deux éprouve des inquiétudes plus' poignantes ; quel est celui des deux pour lequel elles sont plus légères. N’est-il pas vrai que si l’un deux est en souci pour sa nourriture de chaque jour, l’autre, bien que débarrassé de ce souci, est préoccupé d’une infinité d’autres choses ? Le riche, il est vrai, ne craint pas d’avoir à souffrir de la faim, guais il a d’autres craintes : souvent il craint pour sa propre vie. Le pauvre n’est pas exempt d’inquiétudes pour sa subsistance ; mais, en compensation, il est exempt de beaucoup d’autres inquiétudes : il vit dans la sécurité, il a l’esprit tranquille, en repos.
5. Au surplus, si commettre une injustice, loin d’être un mal, est un bien, pourquoi en rougissons-nous, pourquoi erg éprouvons-nous de la confusion ? Pourquoi, lorsqu’on nous outrage ; montrons-nous de l’indignation et le plus vif déplaisir ? – Et s’il n’est pas beau d’être victime de l’injustice, pourquoi en tirons-nous vanité ? pourquoi nous en glorifions-nous ? pourquoi nous en faisons-nous un mérite ? Voulez-vous savoir pourquoi le second de ces états vaut mieux que le premier ? Considérez ceux qui sont dans l’un, et ceux qui sont dans l’autre. Pourquoi y a-t-il des lois ? pourquoi y a-t-il des tribunaux ? pourquoi y a-t-il des châtiments ? N’est-ce pas pour les premiers, que l’on traite de cette façon comme des malades ? – Mais, dites-vous ; il y â beaucoup de plaisir à faire le mal. – Laissons de côté les considérations tirées de la vie future : n’examinons que l’état présent des choses. Qu’y a-t-il de plus malheureux qu’un homme qui est exposé à de tels soupçons ? Qu’y a-t-il de plus fragile ? qu’y a-t-il d’e plus chancelant ? N’est-il pas constamment comme un homme qui fait naufrage ? S’il fait quelque action juste, on ne le croit pas. Ayant égard à ce qu’il est capable de faire, plutôt qu’à ce qu’il a fait, tous le condamnent ; il a autant d’accusateurs qu’il compte de concitoyens : l’amitié même lui est interdite, car personne n’est désireux de devenir l’ami d’un homme qui a ; une telle réputation ; personne n’est jaloux de partager sa – déconsidération. Tous se détournent à son aspect, comme devant une bête féroce, ne voyant en cet homme injuste qu’un fléau, un pervers, un homicide, un ennemi de la nature entière. Si l’homme qui a fait du tort à son semblable tombe entre les mains de la justice, il n’a pas besoin de trouver un accusateur pour que la justice ait son cours, sa propre réputation se levant contre lui pour le condamner,