Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 5, 1865.djvu/581

Cette page n’a pas encore été corrigée

Dieu une forme humaine à cause de ces expressions qui rappellent des mains, des pieds, des yeux ? Est-ce qu’il y a là-haut des ares, des traits, des pierres à aiguiser, des glaives, des carquois. Pourtant on lit ailleurs : « À ta vue, les montagnes seront troublées devant toi. » (Sir. 16,19) Et chez le même Psalmiste : « Celui qui regarde la terre et la fait trembler. » (Ps. 103,32) S’il lui suffit de regarder la terre, pour fondre les pierres, à plus forte raison aura-t-il le même pouvoir sur les hommes. Pourquoi donc Celui qui peut d’un regard bouleverser l’univers, que dis-je, par un simple effet de sa volonté (Celui qui l’a créé par sa volonté seule peut bien, certes, l’anéantir de la même façon), pourquoi, dis-je, est-il représenté avec un glaive et un arc ? Si « dans sa main sont les frontières du monde. » (Ps. 94,4) Si « ceux qui l’habitent sont comme des sauterelles. » Si « toutes les nations seront comptées comme « une goutte tombée d’un tonneau et comme le petit grain de la balance. » (Is. 40,22, 15) Si son ange, en se montrant, a détruit dans un instant cent quatre-vingt-cinq milliers d’hommes ; que dis-je, son ange ? si des mouches, des chenilles et des vers ont exterminé l’armée des Égyptiens : que fait ici cet arc ? à quoi bon ce glaive ? pourquoi donc ces expressions ? À cause de la grossièreté des esprits auxquels elles sont adressées, et afin de les ébranler à l’aide de ces noms d’armes qui leur sont familiers. Celui qui tient dans sa main notre respiration à tous, Celui dont personne ne saurait soutenir le poids (Dan. 5,23 ; Ps. 147,17), comment des armes lui seraient-elles nécessaires ? Mais, comme je l’ai dit plus haut, s’il s’exprime ainsi, c’est à raison de la grossièreté et de la sottise des hommes pour lesquels il parle. Que veut dire ce mot : « Il fera luire ? » Entendez : « Il aiguisera. » Mais il a donc besoin d’une pierre ? Est-ce qu’il y a de la rouille sur son glaive ? Et quel homme intelligent pourrait prendre ces termes à la lettre ? Ainsi que je l’ai dit plus haut, ce sont là des emblèmes qui figurent le châtiment : et il recourt aux objets les plus sensibles afin que les plus grossiers des hommes soient avertis qu’il ne faut pas s’en tenir aux mots, mais y chercher des pensées conformes à la majesté divine. Si donc on s’étonne d’entendre parler de la colère et du courroux de Dieu, à plus forte raison y a-t-il lieu d’être surpris en cet endroit. Mais si ces dernières expressions doivent être prises autrement que dans le sens littéral, et dans une signification qui convienne au caractère de la divinité, il est clair qu’il faut faire de même pour la colère et le courroux ; et que la grossièreté des expressions n’a d’autre but que de frapper la grossièreté des auditeurs. Voilà pourquoi il ne s’en tient pas là, et ne craint pas de parler un langage encore plus humain, et propre à rendre la terreur encore plus vive. Il ne se borne pas à représenter Dieu armé d’une épée ; il le montre encore s’apprêtant au combat. Comme ce n’est pas un égal sujet d’effroi que d’entendre dire qu’on aiguise le glaive, ou que l’arc est aux mains de l’archer, le Psalmiste ébranle l’âme de ses auditeurs par ces figures tout humaines : « Il a tendu son arc et l’a préparé… » Ainsi il nous effraye, et il nous fait connaître à la fois la longanimité de Dieu et sa colère. Il ne dit pas : il a lancé la flèche ; il ne dit pas, il a saisi son arc, mais bien : il l’a tendu et l’a préparé : c’est-à-dire qu’il est prêt à lancer le trait.
Et pourquoi s’étonner de ce langage dans l’Ancien Testament, lorsque dans le Nouveau même, Jean s’adressant aux Juifs ne craint pas de leur dire : « Déjà la cognée est à la racine de l’arbre ? » (Lc. 3,9) Qu’est-ce à dire ? Dieu fait comme un bûcheron qui coupe du bois avec une hache ? Est-ce bien de cognée, est-ce bien de bois qu’il s’agit ? Y pensez-vous ? Pas plus que de paille et de blé, dans ces paroles : « Son van est dans sa main, et il nettoiera entièrement son aire : il amassera son blé dans le grenier ; mais il brûlera la paille dans un feu qui ne peut s’éteindre. » (Mt. 3,12) Qu’est-ce donc que cette cognée ? C’est le châtiment, le supplice. Et les arbres ? Ce sont les hommes. Mais la paille ? les méchants. Et le blé ? les bons. Le van, enfin ? La séparation par le jugement. Il en est de même ici du glaive, de l’arc, des traits : c’est encore le supplice, la punition. Après cela, par ces expressions : « Tendre et préparer », il nous représente les délais du supplice qui est différé sans être bien loin, qui nous attend à la porte. Les instruments de mort, ce sont les traits. Ainsi qu’on appelle instruments de labour, ce qui sert à cultiver la terre ; instruments de navigation, ce qui sert à traverser les flots ; instruments de tissage ce qui sert à faire les tissus. Les instruments de mort sont ici ce qui donne la mort. Ensuite, afin d’expliquer ce que sont ces instruments de mort, il ajoute : « Ses a traits », indiquant ainsi la promptitude avec laquelle il punit, quand il veut punir. Et ceux qui brûlent ? Ce sont les coupables punis, les suppliciés. Eh bien l est-ce que le feu ne suffit pas ? À quoi bon des traits ? Voyez-vous bien que tout cela n’est que métaphores et images, destinées à augmenter la terreur ? Voici le sens de ses paroles : Dieu a tout préparé pour la punition de ceux qui doivent être punis. S’il n’avait point parlé de la sorte, il n’aurait pas inspiré autant de crainte : par toutes ces expressions diverses de traits, de glaive, de flèches lancées, d’arc tendu, d’instruments de mort, de feu allumé, il redouble à dessein nos angoisses. Puis, pour calmer un peu notre terreur, il ajoute : « À ceux qui brûlent. » Sans cela, quelque homme sans intelligence pourrait croire que le bras de Dieu menace tous les hommes, qu’il est armé contre le monde entier. Paul fait allusion à la même chose, lorsqu’il dit en parlant du magistrat : « Ce n’est pas en vain qu’il porte le glaive. » (Rom. 13,4) S’il est vrai que le glaive des magistrats soit bon à cela, et inspire la terreur, à plus forte raison est-ce vrai. de la divinité. Et ce n’est point le fait d’une bonté commune que d’effrayer par des menaces, et d’insister en paroles sur l’énormité du châtiment ; c’est un moyen de nous en épargner l’épreuve. Si Dieu tend son arc, s’il le prépare, s’il y pose la flèche, s’il se prépare à punir, c’est afin de n’avoir pas lieu de punir.
12. Il donne de la force à son langage, en indiquant par cette expression, « il fera luire », la rigueur et la promptitude du châtiment. Par ce mot : « il a tendu », il en fait voir la proximité ; en disant : « il a préparé », il prédit le résultat inévitable de l’obstination des pécheurs ; en ajoutant : « pour ceux qui brûlent » il a en vue les coupables, afin que, avertis par tout ce qui précède, ils renoncent à leur iniquité. Que si c’était là le langage de la colère et du courroux, il n’aurait pas prévenu ceux qu’il devait frapper. Le courroux ne permet point tant de ménagements : il se comporte même d’une façon toute contraire, surtout quand il est à son apogée, au moment de la punition, dans les apprêts de la vengeance. En guerre, du moins, ou quand on veut se venger, loin de ; dire à l’avance, on se cache