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courir des dangers, être en butte à des complots, être chassé de sa patrie, perdre la liberté plutôt que de se débarrasser par un meurtre d’un ennemi qui le poursuivait d’une haine sans motif, et brûlait de le récompenser de mille bienfaits par la mort.
La sagesse de son âme éclate encore dans bien d’autres traits pareils. De là tous ces maux qu’il se souhaite à lui-même ; revenir sans avoir rien fait, être complètement vaincu par ses ennemis, mourir sans laisser un nom, mourir de la main de ses ennemis ; choses pires que la mort ; en effet, que n’avait-il point entrepris pour qu’on se souvînt de lui après sa mort ? Voyez donc tous les malheurs qu’il appelle sur sa tête ; inutilité de ses efforts, victoire de ses ennemis, pour lui-même la mort, une mort particulièrement affreuse, l’oubli de son nom, l’ignominie ; il n’aurait pas prononcé de tels vœux contre lui-même, si le témoignage de sa conscience ne l’avait bien rassuré. S’il avait eu des ennemis, ce n’était point sa faute ; il ne leur avait donné aucun sujet de haine contre lui. Quel prétexte avait son fils ? Quel prétexte avait eu Saül ? N’avait-il pas corrigé avec le temps, ramené à lui et à la raison celui qui avait encouru sa vengeance ? n’avait-il pas souvent laissé échapper de ses mains celui qui conspirait contre sa vie ? N’examinez donc point s’il avait des ennemis, mais s’il se les était lui-même attirés. Le Christ même ne nous a pas défendu d’avoir des ennemis, car cela ne dépend point de nous ; il nous a défendu seulement de les haïr. Ceci est en notre disposition, et cela nullement. Que si l’on nous poursuit d’une haine injuste, il ne faut point s’en prendre à nous, mais à ceux qui nous haïssent. C’est, en effet, la coutume des méchants de ressentir contre les bons des haines sans motif. Le Christ lui-même n’y a point échappé comme il le dit lui-même. « Ils m’ont pris en haine sans motif. » (Jn. 15,25) Les apôtres avaient les faux apôtres pour ennemis ; les prophètes, les faux prophètes. Ce qui doit nous préoccuper, ce n’est point de ne pas avoir d’ennemis, c’est de ne pas mériter d’en avoir ; c’est aussi de ne pas les haïr, de ne pas les prendre en aversion, quel que soit l’excès de leur haine ; car l’inimitié consiste en ceci : à haïr, à prendre en aversion. Par conséquent, si l’on me hait sans que je haïsse, je n’ai point d’ennemi, bien que quelqu’un ait un ennemi en moi. Comment aurais-je pour ennemi l’homme pour qui je prie, l’homme que je voudrais obliger ? De là ces mots de Paul : « S’il est possible, autant qu’il est en vous, vivant en paix avec tous les hommes. » (Rom. 12,18)
6. Faisons donc ce qui est en nous, et cela suffira pour que nous méritions des éloges. Mais qu’est-ce qui est en nous ? Prenons un exemple. Un tel vous hait, vous fait la guerre ; aimez-le, faites-lui du bien. Il vous insulte, vous injurie ? Bénissez-le, louez-le. Mais il persiste néanmoins dans sa haine. Eh bien ! il ne fait qu’ajouter à votre récompense. Car plus les méchants persistent dans la guerre qu’ils nous font en dépit de nos bons procédés, plus ils nous assurent une belle récompense, et plus ils enveniment leur propre maladie. En effet, l’homme implacable dans son inimitié, se dessèche, se consume, vit dans une agitation perpétuelle ; au contraire, celui qui s’élève au-dessus de ces atteintes, domine l’orage, et se rend service à lui-même plus encore qu’à celui qui l’attaque, en essayant de le ramener, en s’abstenant de lui faire la guerre ; car il se dispense même de combattre. Fuyons donc toute guerre avec autrui, et arrachons la racine de ces dissensions, la vaine gloire, la cupidité. En effet, c’est l’argent et la vanité qui causent toutes les haines. Que si nous savons nous mettre au-dessus de ces choses, nous serons pareillement au-dessus de la haine. On t’outrage, résigne-toi. L’outrage n’atteint que son auteur. On te frappe, ne résiste pas. Celui qui a donné le coup est celui qui l’a reçu ; sa main seule t’a touché ; mais lui, sa colère l’a meurtri ; et il reste déshonoré aux yeux de tous. Que si cela te cause quelque peine, figure-toi qu’un homme dans un accès de démence ait déchiré ton vêtement ; qui sera vraiment à plaindre, ou toi la victime, ou lui l’agresseur ? Ce sera lui, sans aucun doute. Eh bien ! si, quand il s’agit d’un vêtement déchiré, l’agresseur est plus à plaindre que la victime, quand il s’agit d’un déchirement du cœur (car tel est l’effet produit par la colère), ne jugeras-tu point de même que celui qui a cédé à la colère est plus malheureux que toi, qui n’as subi aucun dommage. Ne va pas dire qu’il a déchiré ton vêtement ; avant tout, il a déchiré son propre cœur. Il n’y aurait pas de jaunisse, si la bile ne se répandait hors de la région qui lui est propre ; de même, il n’y aurait pas de colère excessive,