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fuite. Car le démon n’a pas autant peur de l’homme qui le chasse en exorcisant un autre homme, que de celui qui est maître de sa propre colère, vainqueur de son courroux ; car cette passion même est un terrible démon, et, plus que les démoniaques, il faut plaindre ceux qui y sont en proie. En effet, les possédés ne tombent pas nécessairement dans l’enfer ; tandis que la colère et la rancune nous font déchoir du royaume des cieux. Si nous réglons ainsi notre prière, nous pourrons, nous aussi, dire à Dieu en toute confiance : « Exaucez ma prière. » De cette manière, non seulement nous nous rendrons service, nous nous perfectionnerons par notre prière, mais encore nous réjouirons l’oreille de Dieu en lui adressant une demande conforme à ses préceptes ; ce qui le disposera à nous tout accorder. Voilà le moyen de reconnaître notre adoption, voilà ce qui montre le mieux le caractère qu’elle nous a conféré. « Soyez miséricordieux, n’est-il écrit, « comme votre Père qui est dans les cieux. » (Lc. 6,36) Et ailleurs : « Priez pour ceux qui vous persécutent, afin que vous soyez semblables à votre Père qui est dans les cieux. » (Mt. 5,44) Que peut-on donc comparer à cette prière ? Elle nous rend semblables non aux anges, ni aux archanges, mais au Roi lui-même. Or, celui qui est devenu semblable au Roi dans la mesure du possible, songez quel crédit trouveront ses prières. « Fils des hommes, jusques à quand votre cœur sera-t-il appesanti ? Pourquoi chérissez-vous la vanité, et cherchez-vous le mensonge ? » A qui s’adressent ces paroles, sur qui tombe ce reproche, à qui est donné ce conseil ? : Qui sont ces fils des hommes ? Ce sont ceux qui vivent dans le péché, ceux qui sont enclins au vice. Eh quoi donc ? Nous-mêmes, ne sommes-nous pas fils des hommes ? Oui, par la nature, mais par la grâce, c’est différent, nous sommes fils de Dieu. Si donc, nous conservons la ressemblance que nous donne avec lui la vertu, le présent qui nous a été fait demeurera intact ; en effet, ceux que la grâce a rendus fils de Dieu, doivent montrer dans leur conduite le signe de leur naissance. Mais la preuve qu’il appelle fils des hommes les mondains ; les hommes adonnés au vice, elle est dans cette parole : « Les fils de Dieu ayant vu les filles des hommes. » Eh bien ! dira-t-on, c’est justement le contraire de ce que vous avez dit ; nullement, il appelle fils de Dieu ceux qui d’abord, issus d’hommes vertueux, honorés du Seigneur, avaient ensuite dégénéré, s’étaient pervertis, étaient déchus de leur rang. C’est pour rendre plus terrible l’accusation portée contre eux, qu’il fait mention de leur dignité, montrant quel grief résulte de ce que ni leurs qualités ni leur naissance ne les avait préservés d’une pareille chute. Ailleurs, Dieu parle ainsi : « J’ai dit, vous êtes dieux et fils du Très-Haut tous tant que vous êtes. Mais vous mourrez comme des hommes. » (Ps. 81,67) Considérez ici la sagesse du Prophète. Il vient de montrer la puissance de Dieu, son inépuisable industrie, sa bonté, sa charité, comment il met au large les affligés, comment il nous exauce dans sa miséricorde, après cela, réfléchissant aux vices répandus parmi les hommes, à la tyrannie de l’impiété, comme étouffé par la douleur, il se met à parler de ceux qui vivent dans l’iniquité, c’est à peu près comme s’il disait : Vous qui avez un Dieu pareil, si bon, si charitable, si puissant comment vous êtes-vous abandonnés à l’impiété ? Et voyez quelle douceur, quelle sagesse tempère le courroux dans ce conseil. Que dit-il, en effet ? « Fils des hommes, jusques à quand vos cœurs seront-ils appesantis ? » Voilà le langage d’une sévérité contenue depuis longtemps. En effet, si l’on est répréhensible pour avoir eu les yeux fermés tout d’abord à la bonté divine, quelle excuse reste-t-il à celui que la vérité a trouvé aveugle si longtemps ? Qu’est-ce à dire : vos cœurs appesantis ? Cela signifie des cœurs grossiers ; charnels, attachés à la terre, épris du vice, adonnés à l’iniquité, engourdis dans les voluptés ; car tel est l’homme charnel. Et le Prophète en accusant leur vie, indique la source de leur impiété, en montrant que c’est cela surtout qui les empêche de s’élever jusqu’aux dogmes de la sublime sagesse. Car rien n’appesantit le cœur comme la concupiscence, comme l’affection pour les choses mondaines, comme l’attachement à la terre : On ne se tromperait point en appelant un cœur pareil cœur de boue ; delà l’expression : « Cœur appesanti. » Et, suivant David, la cause du mal, c’est qu’une telle âme, bien loin de contenir au moyen des rênes le coursier qu’elle est chargée de conduire, se laisse, au contraire, entraîner par lui ; c’est que, au lieu de donner des ailes à la chair, de l’élever au-dessus du monde, et jusque dans le ciel, elle se laisse elle-même précipiter à