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Seigneur. De même que les avares ne tiennent aucun compte du rang, ni de rien de pareil, mais considèrent seulement ceux qui ont de l’argent, et se flattent de tout obtenir en s’adressant à eux : ainsi, attendu que Dieu chérit la justice, quiconque se présentera devant lui dans cette société ne s’en ira point les mains vides : et au contraire celui qui n’a point la justice pour compagne, et que souillent les vices contraires, celui-là aura beau prodiguer les invocations, il n’y gagnera rien, parce que les moyens de persuasion lui feront défaut. Ainsi donc, si tu veux réussir en quelque chose auprès de Dieu, il faut t’adjoindre cette alliée avant de te présenter. Mais la justice dont je parle n’est point une vertu particulière, c’est la vertu en général, la vertu complète. C’est de cette façon que Job était juste, lui qui possédait toutes les vertus humaines, et ne s’abstenait point d’un vice pour tomber dans un autre. C’est en ce sens que nous appelons juste une balance égale dans tous les cas, et soit qu’il faille peser de l’or ou du plomb, conservant cette propriété à l’égard de toutes matières. De même encore une mesure juste est celle qui demeure constamment égale. Job était un juste de la même façon, grâce à une égalité parfaite. Car ce n’est pas seulement en fait de richesses qu’il se montrait tel, mais bien en toutes choses : en rien, il ne dépassait la mesure ; et l’on ne saurait dire que, fidèle pour ce qui concerne l’argent à cette règle d’égalité, il transgressât la mesure dans ses rapports avec le prochain, en homme arrogant et dédaigneux. En effet, il n’était pas moins soigneux d’éviter cette faute. C’est même ce qui lui faisait dire : « Si j’ai dédaigné d’entrer en jugement avec mon serviteur et avec ma servante, lorsqu’ils disputaient contre moi ou s’ils n’ont pas été comme j’ai été moi-même. » (Job. 31,13) Donc, c’est encore une très-grande iniquité que d’être vain et superbe.
2. En effet, de même que nous appelons cupide l’homme qui veut s’approprier le bien des autres, au lieu de se contenter de ce qu’il possède : nous nommons arrogant celui qui demande au prochain plus qu’il ne lui est dû, celui qui réserve pour lui seul tous les honneurs, et ne fait aucun cas des autres. Or l’unique principe d’une prétention pareille, c’est l’injustice. Vous allez vous en convaincre. Dieu a créé ton prochain comme toi, tous ses dons sont communs et également répartis entre vous. Comment donc peux-tu l’exclure et le frustrer de la dignité que Dieu lui a conférée, lui refuser le rang de ton associé, t’attribuer tout à toi-même, et l’appauvrir non seulement d’argent, mais encore de considération ? Dieu vous a octroyé même essence ; il vous a décerné la même suprématie, vous a façonnés pour être égaux. En effet, la parole « Faisons l’homme » s’applique à toute l’espèce. Comment pouvez-vous donc déposséder cet homme de son patrimoine en le plongeant dans l’humiliation, en vous arrogeant à vous seul une commune propriété ? Tel n’était point le saint prophète : aussi pouvait-il dire avec sécurité : « Il a exaucé ma justice. » De même Paul se donne souvent en spectacle, non par ostentation ni par orgueil, mais pour servir de modèle aux autres : lorsqu’il dit, par exemple : « Je voudrais que tous les hommes vécussent ainsi que moi dans la continence. » (1Cor. 7,7) Ainsi David encore, lorsque les circonstances le demandent, ne craint pas de proposer en exemple son courage, fruit de la grâce divine, en disant qu’il étouffait les ours et les lions dans ses bras : non qu’il voulût lui-même se glorifier, à Dieu ne plaise, mais afin de s’attirer la confiance par ce moyen.
Mais, dira-t-on peut-être, si je possède la justice, à quoi bon la prière, puisque la justice suffit à tout, et que le dispensateur des biens connaît nos besoins ? Je réponds que la prière est très-propre à fortifier l’amour que nous avons pour Dieu, en ce qu’elle nous donne l’habitude de nous approcher de lui, et nous initie à la sagesse. En effet, si la fréquentation d’un homme éminent produit des fruits précieux, à plus forte raison peut-on dire la même chose d’un commerce assidu avec la Divinité. Mais nous ne connaissons pas assez les avantages de la prière, parce que nous n’y apportons pas assez d’attention, assez d’application à suivre les lois de Dieu. Devons-nous avoir une entrevue avec quelque personne d’un rang supérieur au nôtre, nous avons soin de composer préalablement comme il convient : notre attitude, notre démarche, notre costume, tout enfin ; et quand nous paraissons devant Dieu, c’est en bâillant, en nous grattant, en nous tournant à droite et à gauche, en nous laissant aller. Tandis que nos genoux reposent à terre, notre pensée se promène sur la place