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péché arma frères contre frères. Si tu as des frères qui te font la guerre, plutôt que de les accuser par tes plaintes, sonde ta propre conscience, et cherche quel est le péché qui t’a valu leur inimitié. Ce n’est pas que le péché soit toujours la cause de ces haines paternelles Joseph eut ses frères pour ennemis, sans l’avoir aucunement mérité : et Job de même fut en butte aux perfidies de sa femme sans y avoir donné lieu par aucune faute : je dis seulement que la plupart d’entre nous s’attirent par leurs péchés l’inimitié des leurs. On voit même des amis changés en ennemis par l’effet du péché, de vieilles affections transformées en haine et en aversion, par la volonté de Dieu et pour des raisons à lui connues. C’est ainsi que dans le psaume cent quatrième il est écrit au sujet des Égyptiens : « Il changea leur cœur afin qu’ils prissent en haine son peuple. » (Ps. 104,25) Dieu n’aurait point provoqué cette haine, si tout d’abord l’amitié avait été vertueuse. Ceux pour qui l’amitié est un principe de perte, ceux-là trouvent dans la haine une occasion de sagesse. Il y a plus : les êtres même qui vivent dans la servitude et la sujétion ont été souvent induits en révolte contre leurs maîtres par les péchés de ceux-ci. Voyez Adam avant son péché : les animaux sont ses serviteurs et ses subordonnés, des esclaves qu’il nomme à sa guise. Mais après que le péché l’eut défiguré, les animaux cessèrent de le reconnaître, et ses esclaves d’autrefois devinrent ses ennemis. Et de même que le chien du logis sert fidèlement la personne qui le nourrit, la craint, la respecte, et pourtant, si elle vient à la voir barbouillée de suie, ou masquée d’un visage d’emprunt, fond sur elle comme sur un étranger, et veut la mettre en pièces ainsi tant qu’Adam conserva pure sa face faite à l’image de Dieu, il conserva l’obéissance et le respect des animaux : mais une fois que la désobéissance eut souillé son visage, ils ne reconnaissaient plus leur maître, et lui étaient hostiles comme à un étranger. On voit que la révolte des esclaves peut être aussi la punition des péchés du maître. C’était un juste que Daniel, et les lions reconnurent sa domination ; ils le virent exempt de péché, ils le laissèrent aller exempt de punition. Un prophète avait commis le péché de mensonge : il rencontra un lion, qui lui ôta la vie. (1R. 13,24) C’est qu’il était barbouillé de mensonge ; le lion ne le reconnut pas. S’il avait aperçu un prophète pareil à Daniel, il lui aurait rendu hommage : il ne trouva qu’un faux prophète, et il lui courut sus, comme à un étranger. Le maître avait menti : son autorité fut reniée par son esclave. Mais pourquoi parler des malheurs domestiques, quand notre corps lui-même, notre corps, c’est-à-dire ce que nous avons de plus intime et de plus cher, nous fait quelquefois la guerre quand nous sommes en faute, et s’arme contre nous de fièvres, de maladies, d’infirmités ; quand cet humble esclave flagelle aussi sa souveraine, l’âme, du moment qu’elle est pécheresse, non pas de son propre mouvement, mais en vertu d’un ordre qu’il doit exécuter ? Témoin le Christ, disant au paralytique guéri : « Te voilà en santé, ne pèche plus, afin que rien de pire ne t’advienne. (Jn. 5,14) » Bien convaincus par conséquent, mes frères, que les guerres domestiques, les dissensions entre parents, les révoltes d’esclaves, que les maladies du corps sont généralement des fruits du péché, fermons cette source de maux, le péché, et si les torrents des passions n’inondent point notre âme, les eaux de la pluie céleste y porteront assez de joie. Donc, lorsque David eut, pour ainsi dire, usurpé la femme d’autrui (n’est-ce pas en effet une royauté pour tout homme que la tendresse d’une épouse ? un roi tient-il plus à la pourpre et au diadème, qu’un mari ne tient à sa femme ?), en punition de ce crime, le fils qu’il avait de sa femme, à lui, devint rebelle et usurpateur, et tenta d’arracher le trône à son père. Il avait pris par force, il fut dépossédé par force ; il avait péché secrètement, il triompha de lui au grand jour ; il s’était blessé dans l’ombre, il fut opéré sous les yeux de tous, par la volonté du Dieu qui lui avait dit : « Tu as agi en secret : moi, j’agirai au grand jour et à la face du soleil que voilà. » (2Sa. 12,12) Néanmoins l’attentat d’Absalon n’aboutit pas, comme de juste sans cela les fils dénaturés se seraient crus par cet exemple autorisés au parricide. Il avait fait l’office de bourreau ; il subit le supplice des coupables ; et comme les bêtes qu’on lâche dans les théâtres se jettent sur l’un et sont tuées par l’autre ; ainsi Absalon qui avait attaqué David périt sous les coups de Joab, et demeura suspendu au haut d’un arbre, lui, soulevé contre son père ; une plante arrêta ce rameau en guerre avec sa souche ; un rejeton tint enchaîné ce rejeton détaché de l’amour