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enfin : Puisque Dieu nous a fait la grâce, non seulement de croire en lui, mais encore de souffrir pour lui. (Phil. 1,29) En effet, c’est une grâce en réalité bien grande, que d’être jugé digne de souffrir quelque chose pour le Christ, c’est une couronne accomplie, c’est un dédommagement égal à la récompense future : et ceux-là le savent qui savent aimer le Christ du fond de l’âme et avec ferveur. Telle était Anne aussi, brûlante d’amour pour Dieu, et tout embrasée de cette flamme : c’est pour cela qu’elle disait : Je me suis réjouie dans votre salut. Elle n’avait rien de commun avec la terre, elle dédaignait toute assistance humaine, la grâce de l’Esprit lui donnait des ailes, elle était dans le ciel, elle avait dans toutes ses actions les regards dirigés vers Dieu, et ne cessait de chercher là-haut la fin des maux qui l’accablaient. Car elle savait, elle savait bien que les biens terrestres, quels qu’ils soient, ressemblent, par leur nature, à ceux dont on les tient, et que nous avons constamment besoin du secours d’en haut, si nous voulons nous reposer sur la foi d’une ancre solide. Aussi recourut-elle en toute chose à Dieu ; aussi, comblée de sa grâce, se réjouissait-elle surtout en songeant à son bienfaiteur, et disait-elle en sa gratitude : Il n’est pas de saint comme le Seigneur, il n’est pas de juste comme notre Dieu, et il n’y a pas de saint excepté vous (1Sa. 2,2) ; voulant dire par là que le jugement de Dieu est irrépréhensible, que ses arrêts sont intègres et infaillibles.
Voyez-vous la pensée de cette âme reconnaissante ? Elle ne se dit pas : Qu’ai-je donc reçu d’extraordinaire, et de plus que les autres ? Ce que ma rivale a obtenu depuis longtemps et à profusion, moi, je ne l’obtiens qu’à la longue, à force de peines, de larmes, de supplications, de requêtes, de fatigues. Bien convaincue de la divine Providence, elle ne demande point de comptes au maître, à la façon de tant d’hommes qui ne laissent point passer de jour sans faire à Dieu son procès. Voient-ils un homme riche, un autre pauvre, c’est pour eux l’occasion de mille attaques contre la providence divine. Que fais-tu, mon ami ? Paul t’a interdit d’entrer en débat avec ton compagnon d’esclavage, en disant ces paroles : Ne jugez pas avant le temps, jusqu’à ce que vienne le Seigneur (1Cor. 4, 5) ; et tu traînes ton maître au tribunal, tu lui demandes compte de ses actes, et tu ne trembles pas, tu n’as point peur ? Et quelle indulgence, quelle excuse trouveras-tu, dis-moi quand chaque jour et chaque heure t’offrent tant de preuves de sa providence, si tu t’autorises de l’apparente inégalité des fortunes pour accuser l’ordre universel, et cela sans raison ? Sans raison, dis-je : car si tu voulais examiner même ce point dans l’esprit qui convient, et avec attention, tu trouverais ; que la divine Providence n’eût-elle pas d’autre preuve, la richesse et la pauvreté en fourniraient une démonstration parfaitement évidente. En effet, supprime la pauvreté : voilà tout l’ordre de la vie bouleversé, toute notre vie gâtée : il n’y a plus ni marin, ni pilote, ni laboureur, ni maçon, ni tisserand, ni cordonnier, ni orfèvre, ni forgeron, ni corroyeur, ni boulanger, ni ouvrier d’aucune espèce : or, en leur absence, tout sera perdu pour nous. Aujourd’hui la pauvreté, avec les besoins qu’elle apporte, est comme une excellente institutrice, assise auprès de tous tant que nous sommes, pour nous pousser, même malgré nous, au travail : tandis que si tout le monde était riche, tout le monde vivrait dans l’oisiveté : et par là tout serait perdu, tout serait gâté. Mais, indépendamment de ce que j’ai dit, il est une autre raison, tirée du sujet même de leurs reproches, avec laquelle il est facile de leur fermer la bouche. Sur quoi te fondes-tu, dis-moi, pour accuser la Providence divine ? Sur ce que l’un possède moins, l’autre davantage ? Eh bien ! si nous prouvons que, dans les choses vraiment nécessaires et de beaucoup les plus importantes, dans celles qui constituent proprement notre subsistance l’égalité est parfaite entre tous les hommes, te rangeras-tu du côté de la divine Providence ? Il le faudra bien. En effet si pour prouver qu’il n’y a point de Providence, tu pars de ce qu’une chose, à savoir la richesse, n’est pas également répartie entre tous, lorsque nous t’aurons montré que tous participent également, non point à une chose et à une chose aussi méprisable, mais à un plus grand nombre de biens infiniment préférables, il est clair que tu seras forcé par là, quoiqu’il puisse t’en coûter, de prendre parti pour la divine Providence.
Arrivons donc aux choses qui constituent proprement notre subsistance, examinons-les avec attention, et voyons si, sur ces points, le riche a un avantage relativement au pauvre ; le riche a du vin de Thasos, et beaucoup d’autres breuvages pareillement élaborés, colorés