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d’où était Abraham ; le fleuve passe entre les deux pays dont il forme la commune limite. Et, comme Abraham n’était pas de la Palestine, mais venait de la rive opposée, c’est-à-dire de la Babylonie, pour cette raison et de fait, il a reçu le nom de passant, parce qu’il avait passé le fleuve. Or, pourquoi a-t-il passé le fleuve ? parce que Dieu le lui avait ordonné ; pourquoi Dieu le lui a-t-il ordonné ? Pour faire paraître l’obéissance du juste. Et comment parut l’obéissance du juste ? en ce que par l’ordre de Dieu, il abandonna son propre pays, pour passer sur une terre étrangère. Voyez-vous quelle chaîne d’événements dans le nom de l’homme juste ? Ce nom nous a ouvert un océan de faits ; apprenez donc son premier nom, afin qu’en le voyant habiter la Palestine, vous vous souveniez, rien qu’en entendant ce nom, de sa première patrie, de ta cause qui la lui fit quitter, et qu’ainsi vous vous trouviez conduits à imiter le zèle de sa foi.
Voilà donc comment ce juste, avant la loi et sous l’empire de la loi, reçut la sagesse qui fut communiquée au temps de la grâce, et comment il accomplit, avant le temps de la grâce, ce que, plus tard, le Christ proposait à ses disciples : Quiconque aura quitté, pour mon nom, sa maison, ses frères, son père ou sa mère en recevra le centuple, et aura, pour héritage, la vie éternelle. (Mt. 19,28-29) Ce n’est pas là seulement ce qui montre la sagesse de ce juste, mais la promesse de, Dieu sert encore à la manifester ; venez en la terre que je vous montrerai. (Gen. 12,1) Sans doute la Chaldée et la Palestine étaient deux patries matérielles ; mais enfin, l’une était son pays, l’autre, une : patrie étrangère ; l’une, visible, l’autre invisible ; il avait l’une dans les mains, il n’avait l’autre qu’en espérance. Or, abandonnant le visible, le manifeste, ce qu’il avait dans la main, il s’empressa d’aller à l’inconnu, à l’invisible, dans un pays où il ne lui était pas permis de dominer. Conduite qui a pour but de nous apprendre, de nous convaincre, qu’il ne faut pas hésiter, lorsque Dieu nous commande, à laisser là ce qui est visible, à élever nos regards vers ce qui n’apparaît pas à nos yeux. Les biens que nous tenons dans nos mains ne sont pas aussi évidents que ceux qu’il faut espérer ; la vie présente n’est pas aussi manifeste que la vie à venir ; la première, nous la voyons des yeux du corps ; l’autre, nous la voyons des yeux de la foi ; la première, nous la voyons dans nos mains, celle-là, nous la voyons dans les promesses du Dieu qui nous la tient en réserve.
4. Or, les promesses de Dieu sont beaucoup plus puissantes que nos mains. Voulez-vous voir comment cette vie présente n’est tout entière qu’obscurité, tandis que cette vie à venir qui semble obscure a, plus que la vie présente, de solidité durable ? Recherchons, s’il vous plaît, ce qu’il y a d’éclatant dans la vie présente ; ce sont les richesses, c’est la gloire, la puissance, une grande considération auprès des hommes, et vous verrez que rien n’est plus confus que tout cela. En effet, quoi de plus infidèle que les richesses, qui souvent n’attendent pas le soir, pour nous quitter ; comme des ingrats, comme des transfuges, elles passent d’un maître à un autre maître, et, de celui-ci, à un troisième. Et de même pour la gloire : souvent qui avait un noble et illustre nom, se voit tout à coup sans considération et parfaitement inconnu. L’inverse a lieu aussi. Et, comme il est impossible de distinguer ; dans la roue, qui tourne toujours, la moindre partie de la circonférence, parce que la rapidité du mouvement porte, à chaque instant, en haut ce qui était en bas, en bas ce qui était en haut, de même l’impétuosité du mouvement qui nous emporte, qui change tout sans cesse, précipite au plus bas degré ce qui dominait sur le faîte ; vérité que rendent manifeste et l’inconstance des richesses, et l’inconstance du pouvoir, et de tout ce qui se pourrait nommer ; jamais de consistance, toujours l’instabilité ; ce sont des eaux courantes. Qu’y a-t-il donc de plus incertain que ce qui change si souvent de place, prend son vol loin de nous, avant de se montrer ; avant de nous approcher, s’échappe ? De là vient que le Prophète, parlant des voluptés, des richesses, de tout ce qui y ressemble, réprimande par ces paroles ceux qui s’y attachent comme à des biens durables : Ils ont regardé comme stable ce qui n’est que fugitif. (Amo. 6,5) Il ne dit point, ce qui n’est que passager, mais, d’une manière beaucoup plus expressive, ce qui n’est que fugitif. En effet, ces biens-là ne se retirent pas peu à peu, mais avec une étonnante rapidité. Notre patriarche, au contraire, n’a pas tenu cette conduite ; mais, abandonnant tout cela, il n’a vu que les promesses de Dieu ; il nous a préparé la voie dans la foi aux choses à venir ; c’est afin que vous aussi, à qui Dieu a promis les choses