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vous ? Vous n’y gagnerez rien ; et quand vous paraîtrez devant le redoutable tribunal, votre jugement n’en deviendra que plus rigoureux, parce que vous aurez méprisé et violé les lois du Juge suprême. Dites-moi encore : Si un roi imposait, sous peine de mort, l’amour des ennemis, tous, par la crainte seule du supplice, s’empresseraient à observer cette loi. Mais quels reproches ne mérite donc pas celui qui, disposé à tout entreprendre pour sauver une vie que la nature doit inévitablement lui arracher, néglige la pratique des préceptes divins, quoiqu’on le menace d’une mort qui n’aura ni fin, ni consolation ?
8. Mais je m’oublie en parlant ainsi à des chrétiens qui négligent envers leurs bienfaiteurs les devoirs mêmes de la reconnaissance. Qui pourra donc nous garantir des supplices éternels puisque, loin d’aimer nos ennemis, nous en faisons moins que les publicains. Si vous aimez, dit Jésus-Christ, ceux qui vous aiment, quel effort faites-vous ? Les publicains ne le font-ils pas aussi? (Mt. 5,45) Mais puisque nous n’allons pas même jusque-là, quelle espérance de salut nous reste-t-il encore ? C’est pourquoi je vous exhorte à vous montrer miséricordieux les uns envers les autres, à réprimer toute pensée contraire à la charité, et à ne rivaliser entre vous que de bienveillance et d’amitié : chacun doit aussi, selon la parole de l’Apôtre, croire les autres au-dessus de soi (Phil. 2,3), et ne point se laisser vaincre en bons offices. C’est ainsi que nous nous surpasserons mutuellement en charité, et que nous témoignerons à ceux qui nous aiment plus de zèle et d’affection. La charité est en effet le plus ferme appui, et la plus grande consolation de notre vie ; et ce qui distingue éminemment l’homme de la brute, c’est qu’il ne tient qu’à nous, si nous le voulons, d’entretenir la paix et l’union avec nos frères, et de leur montrer la plus cordiale bienveillance. Il suffit pour cela de conserver entre nous l’ordre convenable et la bonne harmonie, et d’enchaîner notre colère, qui est véritablement une bête féroce. Traînons-la en esprit au pied du redoutable tribunal, afin de la plier à aimer nos ennemis soit par l’espoir des plus magnifiques récompenses, soit par la crainte des plus affreux supplices, si elle persévère dans son ressentiment.
Le temps ne nous est point donné pour que nous le perdions en des occupations inutiles et frivoles. Mais nous devons chaque jour, et à chaque heure du jour, nous remettre sous les yeux les jugements du Seigneur, afin de mieux connaître ce qui alors nous donnera plus de confiance, ou nous inspirera plus de crainte. Cette pratique et ces réflexions nous aideront beaucoup à dompter nos mauvaises inclinations, et à réprimer les mouvements de la concupiscence. Faisons mourir en nous, comme parle l’Apôtre, les membres de l’homme terrestre, la fornication, l’impureté, les passions déshonnêtes, les mauvais désirs, l’avarice, la colère, la vaine gloire et l’envie. (Col. 3,5) Si ces affections mauvaises sont réellement mortes en nous, et si elles ne s’y font plus sentir, nous mériterons de recevoir les fruits de l’Esprit-Saint, qui sont la charité, la joie, la paix, la patience, la bénignité, la bonté, la foi, la douceur et la chasteté. (Gal. 5,22) Tel est le caractère qui doit distinguer le chrétien de l’infidèle, et telles les marques qui doivent le faire reconnaître. Ne nous parons donc pas d’un nom vide et stérile, et ne nous enflons point d’un vain orgueil, parce que nous étalons les apparences extérieures de la piété. Mais quand même nous posséderions toutes les vertus que je viens d’énumérer, loin d’en tirer vanité, ne songeons qu’à nous humilier davantage, selon cette parole du Sauveur : Lorsque vous aurez fait tout ce qui vous a été commandé, dites : nous sommes des serviteurs inutiles. (Lc. 17,10) Cette sollicitude pour notre salut nous sera utile à nous-mêmes, puisqu’elle nous garantira des supplices éternels ; elle ne sera pas moins avantageuse à nos frères qui s’instruiront en voyant nos bonnes œuvres. Enfin, après une vie vraiment chrétienne, nous obtiendrons de la bonté divine ces récompenses éternelles que je vous souhaite, par la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soient la gloire, l’empire et l’honneur dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.