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contre nous, pardonnons-lui et remettons cette faute à celui qui l’a commise, ne punissons que si la faute regarde Dieu. Mais je ne sais comment il se fait que c’est tout le contraire ; nous laissons impunis tous les péchés qui offensent Dieu, mais pour la moindre faute qui nous touche nous devenons des accusateurs et des juges sévères, sans songer que nous excitons ainsi le Seigneur contre nous-mêmes.
Pour reconnaître que c’est souvent l’usage de Dieu de remettre les péchés qui le touchent et de rechercher sévèrement ceux qui touchent le prochain, écoutez saint Paul : Si un homme a une femme infidèle, mais qu’elle désire cohabiter avec lui, qu’il ne la renvoie pas. Et si une femme a un mari infidèle, mais qu’il désire cohabiter avec elle, qu’elle ne le renvoie pas. (1Cor. 7,12-13) Voyez quelle condescendance ! Être gentil, infidèle, n’est pas un obstacle à la cohabitation quand on la désire. Qu’une femme soit de la religion des Gentils et infidèle, si elle veut cohabiter avec son mari, qu’il ne la repousse pas. Et il ajoute : que sais-tu, femme, si tu ne dois pas sauver ton mari ? que sais-tu, mari, si tu ne dois pas sauver la femme  ? (1Cor. 7,7,16) Écoutez encore le Christ qui dit à ses disciples : Je vous le dis, tout homme qui renverra sa femme, excepté pour cause de fornication, l’expose a l’adultère. (Mt. 5,32) Quel excès de bonté ! Même si elle est de croyance infidèle, de race étrangère, gardez-la si elle y consent ; mais si elle a péché contre vous, si elle a oublié ses promesses et qu’elle ait préféré une autre union, vous pouvez la repousser et la renvoyer. Songeons à tout cela et cherchons pour tant de bienveillance à rendre à Dieu la pareille ; comme il remet les péchés qui sont faits contre lui et qu’il punit sévèrement ceux qui s’adressent à nous, nous, de même, remettons toutes les offenses que nous souffrons du prochain, mais ne négligeons jamais de venger les offenses faites à Dieu. Cela sera extrêmement avantageux pour nous et rie le sera pas moins pour ceux qui seront ainsi corrigés. Peut-être mon préambule a-t-il été un peu long aujourd’hui. Mais qu’y faire ? Cela m’est arrivé malgré moi, et le courant du discours m’a entraîné.
Puisque nous avions à parler du déluge, il était nécessaire d’expliquer à votre charité que les punitions infligées par Dieu sont plutôt des miséricordes que des punitions : c’est ce qui a lieu pour le déluge. Car de même qu’un père chérit toujours ses enfants, de même Dieu fait tout par intérêt pour les hommes. Pour apprendre par le discours d’aujourd’hui et par la lecture d’hier l’étendue de cette bienveillance, écoutez les paroles de l’Écriture sainte. Hier vous avez entendu celles du bienheureux Moïse ; L’eau s’éleva sur la terre pendant cent cinquante jours (Gen. 7,24) (c’est là que nous en étions restés) ; voici la suite : Dieu se souvint de Noé, et de toutes les bêtes, de tous les animaux, domestiques, de tous les volatiles, de tous les reptiles qui étaient avec lui dans l’arche.
3. Voyez encore comme l’Écriture sainte s’abaisse jusqu’à nous. Dieu, dit-elle, se souvint. Comprenons cela, mes bien-aimés, d’une manière digne de Dieu et n’expliquons pas la vulgarité de ces paroles avec la faiblesse de notre nature. Considéré par rapport à Dieu, ce mot est indigne de son ineffable nature, mais il a été dit pour se conformer à notre faiblesse. Dieu se souvint de Noé : Car après avoir raconté, comme je l’ai déjà exposé à votre charité, qu’il avait plu pendant quarante jours et autant de nuits, que l’eau était restée pendant cent cinquante jours, élevée de quinze coudées au-dessus des montagnes, et que pendant tout ce temps le juste était resté dans l’arche ; sans pouvoir respirer l’air et habitant avec toutes les brutes, alors Dieu se souvint de Noé. Qu’est-ce à dire ? il se souvint ! C’est-à-dire il eut pitié du juste et de sa position dans l’arche ; il eut pitié d’un homme souffrant tant d’ennuis et d’embarras et ignorant quand ces désagréments finiraient. Songez, je vous prie, aux pensées qu’il devait avoir dans quarante jours et quarante nuits pendant lesquels se déchaînaient les eaux impétueuses, et voyant que durant cent cinquante jours elles restaient à la même hauteur sans commencer à descendre ; le plus fâcheux, c’est qu’Il ne pouvait voir ce qui s’était passé ; enfermé comme il l’était et ne pouvant juger par ses yeux de l’étendue du mal, sa douleur s’en augmentait, et chaque jour il supposait les désastres plus horribles. Pour moi, je m’étonne comment il ne fut pas lui-même englouti par la douleur, en réfléchissant à la destruction du genre humain, à l’isolement de sa famille et à l’existence pénible qu’elle allait mener. Mais la cause de tous ses biens, ce fut sa foi en Dieu, qui lui donna la force de résister et de tout supporter ; nourri de cet espoir, il était insensible à toutes