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ou plutôt non, ils n’oublient pas leur nature, mais leur férocité, et, tout en persistant dans leur nature, ils changent leur férocité en douceur. Voyez-en la preuve dans ce qui arrive à Daniel. (Dan. 6,22) Entouré de lions, il paraissait comme entouré de brebis qui lui faisaient une garde d’honneur. Telle était, au milieu de cette troupe, sa sécurité ; c’est que la confiance que le juste puisait dans sa vertu réprimait le naturel des bêtes féroces, et ne leur permettait plus de montrer leur férocité ; de la même manière, ce juste admirable supportait facilement le contact des bêtes féroces, et, ni la place trop étroite, ni la longueur du temps, ni cette captivité sans air respirable, ne lui causèrent de malaise et de dégoût ; sa foi en Dieu lui faisait trouver tout facile, et il était, dans cet affreux cachot, comme nous dans les prairies et sous les frais ombrages. C’est parce qu’il accomplissait le commandement du Seigneur que les choses difficiles lui paraissaient faciles. Telle est, en effet, la vertu ordinaire des justes ; quand ils supportent quelque chose pour Dieu, ils ne considèrent pas la réalité qui se montre, mais ils apprécient la cause qui leur commande de supporter ce qu’ils supportent sans peine. Ainsi le bienheureux Paul, ce docteur des nations, chargé de fers, tant de fois traîné devant les juges, affrontant chaque jour les périls, appelle tant de tribulations, d’afflictions insupportables des épreuves légères, non qu’elles le fussent en réalité, mais la pensée de la cause qui les lui imposait lui inspirait un courage qui allait jusqu’à l’indifférence, au milieu de tant d’assauts. Entendez ses paroles : Car le moment si court et si léger des afflictions que nous souffrons en cette vie produit en nous le poids éternel d’une souveraine et incomparable gloire. (2Cor. 4,18) L’attente, dit-il, de cette gloire qui sera dans l’avenir notre partage, de cette éternelle félicité, nous rend légères ces afflictions continuelles. Voyez-vous comme l’amour de bien rend moins pesante la charge des tribulations, et en supprime le sentiment ? N’en doutez pas ; voilà pourquoi notre bienheureux juste aussi trouvait des charmes dans ces jours de désolation ; c’est que la foi et l’espérance en Dieu nourrissaient son âme. Et le Seigneur Dieu, dit le texte, ferma l’arche par-dehors ; le déluge se répandit pendant quarante jours et quarante nuits, et la terre fut remplie d’eau, et l’arche s’éleva au-dessus de la terre. Voyez encore comme le récit est fait pour augmenter la terreur, pour ajouter à l’horreur du sinistre ! le déluge se répandit pendant quarante jours et quarante nuits, et la terre fut remplie d’eau, et l’arche s’éleva au-dessus de la terre, et l’eau s’accrut et couvrit toute la surface de la terre, et l’arche était portée sur l’eau ; l’eau s’accrut et grossit prodigieusement au-dessus de la terre.
6. Vous voyez quel soin prend l’Écriture pour montrer la grande quantité des eaux, l’inondation grossissant chaque jour. Et l’eau s’accrut, dit le texte, prodigieusement, et toutes les plus hautes montagnes qui sont sous le ciel furent couvertes. L’eau s’éleva de quinze coudées, et inonda toutes les montagnes. Le Dieu de bonté fit bien de fermer l’arche pour épargner au juste ce spectacle ; car si nous, après un si grand nombre d’années, après tant de siècles écoulés, au seul récit de l’Écriture, nous sommes saisis d’épouvante et de stupeur, qu’aurait éprouvé, ce juste, si ses regards avaient vu cet effroyable abîme ? aurait-il pu supporter, un seul moment, ce spectacle ? Ne serait-il pas aussitôt, rien qu’en l’entrevoyant, tombé sans vie, glacé, absolument incapable de résister à cette affreuse image ? Méditez ici, considérez, mes bien-aimés, ce qui nous arrive, quand une pluie médiocre tombe sur nos têtes ; nous sommes dans les angoisses, et nous désespérons, pour ainsi dire, et de l’univers et de notre vie. Qu’aurait éprouvé ce juste, s’il avait vu, à cette prodigieuse hauteur, les eaux montant toujours ? L’eau, dit le texte, s’éleva au-dessus des montagnes, de quinze coudées. Rappelez-vous ici, mes bien-aimés, les paroles du Seigneur, quand il disait : Mon Esprit ne demeurera pas avec les hommes de cette génération, parce qu’ils ne sont que chair ; et encore : La terre est corrompue et remplie d’iniquités ; et encore : Dieu vit la terre et elle était corrompue, car toute chair avait corrompu sa voie. (Gen. 6,3, 11-12) Le monde entier avait donc besoin d’être complètement purifié ; il fallait en laver toutes les taches, supprimer tout le ferment de la première malignité, ne laisser, de cette malignité aucune trace, renouveler, pour ainsi dire, les éléments ; un bon ouvrier, qui voit un vase que ronge une rouille invétérée, le jette au feu, en fait disparaître toute trace de rouille, et rend au vase sa première beauté : c’est ce qu’a fait le Seigneur