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toute semblable à la nôtre et qu’il n’était pas étranger à notre nature.
4. Et maintenant que je vous ai montré quelle est l’excellence et l’utilité du jeûne, et que je vous ai mis sous les yeux l’exemple du divin Maître et de ses serviteurs, je vous conjure, mes chers frères, de ne point négliger les grands avantages qui y sont attachés. N’accueillez donc point avec tristesse le retour de ces jours de salut, mais réjouissez-vous, et soyez pleins d’allégresse, parce que, selon la parole de l’Apôtre, plus l’homme extérieur est affaibli, plus l’homme intérieur se renouvelle. (II Cor. 4,16) Le jeûne est en effet comme la nourriture de l’âme ; et de même que les mets de nos tables entretiennent la santé du corps, le jeûne communique à l’âme une vigueur nouvelle. Il lui donne comme deux ailes légères qui l’élèvent, loin de l’horizon de la terre, jusqu’à la contemplation des plus sublimes mystères. Et c’est alors que cette âme plane au-dessus des plaisirs de cette vie, et de toutes les voluptés des sens. Nous voyons encore qu’un léger esquif sillonne aisément les flots, tandis qu’un vaisseau trop chargé périt par son propre poids. Ainsi le jeûne qui allège l’esprit, le rend plus agile pour traverser la mer de ce monde. Notre œil se tourne vers le ciel et les choses du ciel, et notre pensée méprise les biens de la terre qui ne nous paraissent qu’une ombre et qu’un songe. L’ivresse au contraire et l’intempérance appesantissent l’esprit en surchargeant le corps. Elles rendent l’âme captive des sens, la pressent de toutes parts, et lui enlèvent le libre exercice du jugement et de la raison. Aussi cette âme s’égare-t-elle çà et là à travers des précipices, et court infailliblement à sa perte.
C’est pourquoi, mes chers frères, entrons avec une sainte ardeur dans la pratique salutaire du jeûne : et puisque nous n’ignorons point les maux que produit l’intempérance, fuyons-en les suites funestes. Sans doute l’Évangile, qui nous prescrit une morale plus épurée, qui nous propose une lutte plus difficile et des fatigues plus grandes, et qui nous promet une récompense plus belle et une couronne plus éclatante, nous interdit sévèrement les excès de la table. Mais la loi ancienne elle-même défendait également l’intempérance et cependant les Juifs ne voyaient encore toutes choses qu’en figures, et attendaient la véritable lumière. Ils étaient comme de jeunes enfants que l’on nourrit de lait. Peut-être m’accuserez-vous de parler ainsi au hasard, et sans preuve ; écoutez donc le prophète Amos : Malheur à vous qui êtes réservés pour le jour mauvais, qui dormez sur des lits d’Ivoire et vous étendez mollement sur votre couche, qui mangez les agneaux choisis et les génisses les plus grasses, qui buvez les vins les plus délicats, et vous parfumez des essences les plus exquises, et qui considérez ces plaisirs comme un bien stable et permanent, et non comme un songe fugitif ! (Amo. 6,3-6) Voilà quel langage sévère le Prophète faisait entendre aux Juifs, peuple grossier, ingrat et adonné chaque jour aux plaisirs des sens. Il n’est pas inutile non plus de peser les expressions qu’il emploie, et d’observer qu’après leur avoir reproché leur penchant à l’ivrognerie et à la débauche, il ajoute qu’ils considéraient ces plaisirs comme un bien stable et permanent, et non comme un songe fugitif. N’est-ce pas nous avertir que ces voluptés s’arrêtent au gosier, et se bornent à flatter le palais ?
Le plaisir est donc court et momentané, mais la douleur qu’il cause est longue et durable. Et cependant, dit le Prophète, malgré les leçons de l’expérience, les Juifs s’obstinaient à regarder le plaisir comme un bien stable et permanent, tandis qu’il n’est qu’une jouissance fugitive. Oui, le plaisir s’envole rapidement, et nous ne saurions le fixer même quelques instants. Car telle est la destinée des choses humaines et sensibles. A peine les possédons-nous qu’elles nous échappent. Telle est aussi la nature des délices, de la gloire du monde, de la puissance, des richesses et des prospérités de la vie. Elles ne nous offrent rien de solide ni d’assuré ; rien de ; fixe ni de permanent. Elles s’écoulent plus rapidement que l’eau des fleuves, et laissent vides, et indigents tous ceux qui les recherchent avec un si vif empressement. Mais au contraire les biens spirituels nous présentent un caractère tout différent. Ils sont fermes, assurés, constants et éternels. Ne serait-ce donc pas une étrange folie que d’échanger une jouissance passagère contre des biens immuables, des plaisirs momentanés contre un bonheur immortel, et des voluptés frivoles et rapides contre une félicité vraie et éternelle ? Enfin, les uns nous exposent aux supplices affreux de l’enfer, tandis que les autres nous rendront souverainement heureux dans le ciel. Ainsi donc, mes très-chers frères, que ces