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de la vertu, qu’elle triomphe de ses ennemis par ses souffrances, et qu’elle est plus victorieuse à mesure qu’on l’attaque davantage. Cela se voit dans une foule de circonstances. Mais pour vous donner l’occasion de le reconnaître, car, donnez l’occasion au sage et il deviendra plus sage (Prov. 9,9), il faudrait vous citer bien des exemples de l’Ancien et du Nouveau Testament. Ainsi, dites-moi, je vous prie, Abel n’a-t-il pas été terrassé et tué par Caïn ? Ne vous attachez pas seulement à ce fait que Caïn a vaincu et tué le frère dont il était jaloux et qui ne lui avait rien fait : mais considérez la suite. Observez qu’à partir de ce moment la victime a obtenu la couronne de la gloire avec celle du martyre, et que tant de siècles n’ont pu effacer son souvenir : voyez aussi que le meurtrier, le vainqueur, a mené depuis cet instant une existence plus pénible que la mort, et que depuis lors, jusqu’à présent, il est voué à l’infamie universelle pendant que toutes les bouches chantent chaque jour sa victime. Voilà ce qui regarde la vie actuelle ; quant à celle de l’avenir, quelles paroles, quelle intelligence pourraient être à sa hauteur ? Je sais que vous êtes bien capables de trouver dans les Écritures beaucoup d’exemples analogues, car elles sont faites pour notre profit, pour nous engager à fuir le vice et à rechercher la vertu. Voulez-vous trouver d’autres preuves dans le Nouveau Testament ? Écoutez ce que saint Luc raconte des apôtres qui se réjouissaient d’avoir été flagellés publiquement parce qu’ils avaient été dignes de supporter cet opprobre au nom du Christ. (Act. 5,41) Cependant les coups, de fouet sont un sujet de chagrin et d’abattement plutôt que de joie, mais les recevoir pour Dieu et à cause de lui, voilà ce qui les réjouissait. Quant à ceux qui les avaient flagellés, ils étaient consternés et embarrassés au point de ne savoir que faire : après le supplice ils se consultent entre eux : Que ferons-nous à ces hommes ? (Act. 4,16) Eh quoi ! Vous les avez fait flageller, vous leur avez fait subir mille souffrances et vous hésitez encore ? Tant il est vrai que la vertu est forte et invincible et que, par les tortures même, elle triomphe de ceux qui les lui infligent.
3. Mais pour ne pas nous arrêter trop longtemps sur ce sujet, il faut revenir à notre juste et admirer profondément comment sa vertu portée au comble put mépriser et dominer ce peuple qui riait de lui, s’en moquait, le plaisantait, le bafouait (je me répète, je le sais, mais je ne puis me détacher d’un tel sujet). Comment donc s’explique ce triomphe ? Je vais vous le dire : Noé ne cessait de contempler l’œil qui ne dort pas ; là se fixait toujours le regard de sa pensée ; tout le reste l’occupait aussi peu que s’il n’eût pas existé. On peut en être certain celui qui est possédé de l’amour divin au point de porter toujours ses désirs vers Dieu, finit par ne plus rien voir des choses visibles ; il songe continuellement à celui qu’il aime, la nuit et le jour, en se couchant comme en se levant. Ne vous étonnez donc pas que le juste, tenant sa pensée uniquement dirigée vers Dieu, ne se soit pas inquiété de ceux qui voulaient le faire succomber. Déployant tout son zèle et soutenu par la grâce d’en haut, il leur était supérieur à tous. Noé trouva grâce devant le Seigneur Dieu. Devant la race des hommes du temps il ne trouvait ni grâce ni affection, car il ne suivait pas la même route, mais il trouva grâce devant celui qui sonde les cœurs et qui approuva ses pensées. Quel mal, dites-moi, pouvaient lui faire les railleries et – les sarcasmes de ces contemporains, puisque Celui qui forme nos cœurs et connaît toutes nos actions le félicitait et le couronnait ? De quoi servent à un homme les éloges et l’admiration de toute la terre, si le Créateur de toutes choses, le Juge infaillible, le condamne dans le jour terrible ? Réfléchissons-y bien, mes bien-aimés, comptons pour rien les louanges des hommes et ne les recherchons en aucune manière, mais fuyons le vice et pratiquons la vertu uniquement pour Celui qui sonde les cœurs et les reins. C’est pour cela que le Christ, en nous enseignant à ne pas être avides des louanges humaines, finit par dire : Malheur à vous, lorsque tous les hommes diront du bien de vous ! (Lc. 6,26) Observez que ce mot : Malheur indique ce que sera la peine réservée. Cette exclamation présage une calamité ; c’est presque en déplorant déjà leur sort qu’il leur dit : Malheur à vous, lorsque tous les hommes diront du bien de vous ! Et voyez la précision de ces paroles. Il ne dit pas seulement : les hommes ; mais : tous les hommes. Il est impossible, en effet, que l’homme de bien qui suit la route étroite et pénible, et obéit à tous les ordres du Christ, soit loué et admiré par tous les hommes. Car le vice est bien puissant et bien hostile à