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effet, de même que l’excès des viandes et du vin entraîne pour l’homme une infinité de maux, le jeûne et l’abstinence lui produisent une infinité de biens. Aussi dès le commencement Dieu en fit-il un précepte au premier homme, car il savait que ce remède était nécessaire au salut de son âme. Tu peux manger, lui dit-il, de tous les fruits du jardin ; mais ne mange pas du fruit de l’arbre de la science du bien et du mal. (Gen. 2,16) Or, dire mangez ceci, et ne mangez pas cela, n’était-ce point figurer la loi du jeûne ? Hélas ! Adam qui aurait dû garder ce précepte, le transgressa, il fut vaincu par le vice de l’intempérance, et à cause de sa désobéissance condamné à la mort. Le démon, cet esprit méchant, et ennemi dé l’homme, n’avait pu voir sans envie que dans le paradis terrestre nos premiers parents menaient une vie heureuse, et que dans un corps mortel ils conservaient une innocence angélique. C’est pourquoi il tenta de le faire déchoir de cet heureux état, et en lui promettant des biens plus excellents encore, il le dépouilla de ceux qu’il possédait, tant il est dangereux de ne point se resserrer en des bornes légitimes, et d’aspirer toujours au-dessus de soi ! Le Sage lui-même nous en avertit quand il dit que par l’envie de Satan la mort est entrée dans le monde. (Sag. 2,24) Vous voyez donc, mes chers frères, comment à l’origine des temps, l’intempérance a introduit la mort ; et maintenant j’appelle votre attention sur ces deux passages de la sainte Écriture, où elle condamne les plaisirs et la bonne chère. Le peuple s’assit pour manger et pour boire, et tous se levèrent pour danser. Le peuple bien-aimé but et mangea ; appesanti, rassasié, enivré, il a délaissé le Dieu son créateur. (Ex. 32,6 ; Deut. 32,15) Ce fut aussi par ces mêmes excès joints à leurs autres crimes que les habitants de Sodome attirèrent sur eux les vengeances du Seigneur. Car le Prophète dit expressément que l’iniquité de Sodome a été l’intempérance et les voluptés de la chair. (Ez. 16,49) Ce vice est donc la source, et comme la racine de tous les maux.
3. Mais à ces suites funestes de (intempérance opposons les heureux résultats du jeûne. Après un jeûne de quarante jours, Moïse mérita de recevoir les tables de la loi. Mais comme il vit, en descendant de la montagne, les sacrilèges iniquités du peuple juif, il jeta à terre et brisa ces mêmes tables qui lui avaient coûté tant, d’efforts et de privations. Car il lui paraissait absurde qu’un peuple prévaricateur et voluptueux reçût une législation divine. Cet admirable prophète eut donc besoin de jeûner une fois encore, quarante jours, pour recevoir de nouveau et apporter ces mêmes tables qu’il avait brisées en punition des crimes du peuple. C’est par un jeûne semblable que le grand Élie obtint d’échapper à la tyrannie de la mort. Enlevé au ciel sur un char de feu, aujourd’hui encore il est vivant. Et Daniel, l’homme de désirs, vit ses longs jeûnes récompensés par d’admirables révélations ; et changea la férocité des lions en la douceur des agneaux. Sans doute il ne détruisit pas en eux l’instinct de la nature, mais il en suspendit la voracité. Enfin les Ninivites désarmèrent par un jeûne rigoureux les vengeances du Seigneur, ils y assujettirent les animaux aussi bien que les hommes, et chacun quittant ses voies mauvaises, ils éprouvèrent les effets de la miséricorde divine.
Mais il est inutile de multiplier ici les exemples des serviteurs : et combien de traits ne me fourniraient pas l’Ancien et le Nouveau Testament ! il vaut mieux s’arrêter à la personne même de notre commun Maître. Or le divin Sauveur Jésus a voulu jeûner quarante jours afin de se préparer à la tentation, et de nous apprendre par son exemple qu’il faut comme lui, nous armer du jeûne, et y puiser les forces nécessaires pour lutter victorieusement contre le démon. Mais ici peut-être quelque bel esprit, ou quelque profond raisonneur me demandera pourquoi le Maître a jeûné exactement le même nombre de jours que les serviteurs, et pourquoi il n’a pas voulu dépasser ce nombre ? Je leur réponds que cette conduite, bien loin d’être inutile et téméraire, est pleine de sagesse et d’une ineffable miséricorde. Il a voulu jeûner pour montrer que son corps était véritable et non point fantastique ; et il a voulu se borner à quarante jours de jeûne pour prouver que `sa chair était semblable à la nôtre. C’est ainsi que par avance il réfutait l’insolence de ces esprits curieux et disputeurs. Et en effet si malgré cette disposition des choses et des faits, quelques-uns soulèvent de pareilles objections, que ne diraient-ils pas, si le Sauveur n’eût coupé court à tous les prétextes de leur incrédulité ? Oui, il a jeûné exactement le même nombre de jours que ses serviteurs, afin de nous convaincre qu’il s’est revêtu d’une chair