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il ne lui donne pas l’immortalité, de peur d’affaiblir la crainte du péché ; mais il laisse au milieu des hommes cette crainte dans toute sa force. C’est par cette raison qu’il révoque, pour ainsi dire, d’une manière obscure et latente, la sentence portée contre Adam. Il ne le fait pas visiblement, parce qu’il faut que la crainte serve à nous corriger. Voilà pourquoi, comme Enoch lui était tout à fait agréable, il l’enleva. Maintenant, si la curiosité s’avise de faire des questions : Et où l’a-t-il enlevé ? est-ce qu’il est vivant aujourd’hui encore ? je réponds à la curiosité que cette complaisance pour la pensée humaine est peu convenable, qu’il ne faut pas explorer si curieusement les actions de Dieu, qu’il faut croire à la parole. Quand Dieu prononce, il ne doit pas y avoir de contradiction ; ce que Dieu révèle par ses paroles mérite, quoique invisible, plus de foi que tous les objets soumis à nos regards ; l’Écriture dit que Dieu l’enleva, que Dieu l’enleva vivant, qu’il n’a pas éprouvé la mort, que, par la faveur particulière dont il jouissait auprès de Dieu, il est devenu supérieur au décret porté contre tous les hommes. Où Dieu l’a-t-il enlevé ? que fait-il aujourd’hui d’Enoch ? l’Écriture ne l’a pas dit.
5. Vous voyez la bonté de Dieu : il trouve un homme d’une vertu parfaite, et il ne lui ravit pas la dignité qu’il avait accordée au premier homme avant sa désobéissance. Dieu nous montre par là que, si la séduction du démon n’avait pas prévalu chez Adam contre l’obéissance, il l’aurait honoré d’une dignité égale, supérieure peut-être. Mathusala, ayant vécu cent quatre-vingt-sept ans, engendra Lamech ; Lamech, ayant vécu cent quatre-vingts ans, engendra un fils qu’il nomma Noé, en disant Celui-ci nous fera reposer de nos travaux, et des fatigues de nos mains, et nous consolera dans la terre que le Seigneur a maudite. (Gen. 5,25-29) Voyez maintenant dans le nom du fils de Lamech une nouvelle preuve de la grandeur des mystères, de l’excellence de la prophétie, de l’ineffable bonté de Dieu. Dieu, dans sa prescience, prévoyait les choses à venir ; quand il vit que la malice des hommes croissait de jour en jour, il prédit, dans le nom de cet enfant, les maux qui devaient fondre sur toute la race des hommes, afin que, corrigés par la terreur, ils pussent renoncer à leurs vices et embrasser la vertu ; et voyez la patience du Seigneur, qui a soin que la prophétie précède l’événement longtemps d’avance, pour montrer sa miséricorde et priver de toute excuse ceux qui étaient réservés, dans l’avenir, au châtiment.
Mais peut-être me dira-t-on : d’où Lamech avait-il reçu une telle puissance de prophétie ? Est-ce que l’Écriture nous apprend que sa vertu fut sublime, admirable ? Cessez de vous étonner, mon bien-aimé ; dans sa sagesse, dans sa puissance, Notre-Seigneur emploie souvent des êtres indignes à la prédiction d’étonnantes merveilles, et c’est ce que nous voyons, non seulement dans l’Ancien Testament, mais aussi dans le Nouveau. Écoutez l’Évangéliste, nous parlant de Caïphe, le grand prêtre des Juifs : Or il ne disait pas ceci de lui-même ; mais, étant grand prêtre cette année-là, il prophétisa que Jésus-Christ devait mourir pour la nation des Juifs, et non seulement pour cette nation, mais aussi pour rassembler et réunir les nations qui étaient dispersées. (Jn. 11,51) Vous trouverez un exemple du même genre à propos de Balaam. En effet, appelé pour maudire le peuple, non seulement il ne le maudit pas, mais encore il prédit beaucoup de choses étonnantes, non seulement concernant le peuple, mais encore sur l’avènement de notre Sauveur. (Nb. 24) Cessez donc de vous étonner du nom qu’ici Lamech a donné à son enfant, mais rapportez le tout à la sagesse de Dieu, qui dispose toutes choses. Et il l’appela Noé. Ce nom signifie : repos. Ainsi cette destruction universelle, qui doit venir après tant d’années, on l’appelle repos ; c’est ainsi que Job dit : La mort est un repos pour l’homme. (Job. 3,23) C’est que la corruption est une fatigue, un travail, un excès de peines ; et ce qui l’arrête, et ce qui la retranche, le désastre qui devait la faire disparaître, on l’appelle repos ; et il l’appela, dit le texte, du nom de Noé. Suit l’explication du nom : Celui-ci nous fera reposer de nos travaux, c’est-à-dire, nous détournera de notre iniquité, et des fatigues de nos mains ; c’est la même pensée : nous détournera, veut dire le texte, de nos œuvres mauvaises. L’Écriture, en effet, n’entend pas les douleurs proprement dites des mains, mais les œuvres mauvaises, les actions criminelles qui ont augmenté les douleurs ; et nous consolera dans la terre que le Seigneur a maudite, c’est-à-dire nous affranchira de tous les maux qui nous pressent, des fatigues et des misères que nous subissons en cultivant la terre qui a encouru