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paix et la concorde règnent dans la cité ; alors on retranche presque toutes les préoccupations de la vie, le bruit du forum, le tumulte des marchés, l’empressement des cuisiniers et les sanglantes fonctions des bouchers. Mais comment dépeindre le repos et le calme, la charité et la joie, la paix et la douceur et tous les biens innombrables que nous promet le retour du carême !
Souffrez donc, mes chers frères, que je vous en dise quelques mots. Et d’abord je vous prie de recevoir ma parole avec bienveillance, afin que vous en rapportiez dans vos maisons d’heureux fruits. Car nous ne nous sommes point ici réunis comme au hasard, moi pour vous parler, vous pour m’applaudir, et ensuite nous retirer ; mais je suis venu pour vous adresser une parole utile à votre salut, en sorte que vous ne quittiez point ce temple sans avoir recueilli de ma bouche d’importantes et salutaires instructions. L’église est le trésor des remèdes de l’âme ; et ceux qui viennent ici ne doivent point se retirer qu’ils n’aient auparavant reçu les remèdes qui leur conviennent, et qu’ils ne les aient appliqués à leurs blessures. Et en effet, il sert peu d’écouter si l’on ne réduit en pratique ce que l’on entend. Aussi saint Paul nous dit-il que ce ne sont pas ceux qui écoutent la loi qui sont justes aux yeux de Dieu ; mais que ce sont ceux qui la pratiquent qui seront justifiés. (Rom. 2,13) Et le Sauveur lui-même nous parle ainsi dans son Évangile : Tous ceux qui me disent : Seigneur, Seigneur, n’entreront pas dans le royaume des cieux ; mais celui qui fait la volonté de mon Père qui est aux cieux. (Mt. 7,21) C’est pourquoi, mes bien-aimés, puisque vous savez que l’audition de la parole sainte n’est vraiment utile qu’autant qu’elle se traduit en bonnes œuvres, ne vous bornez pas à l’écouter, mais faites-en la règle de votre conduite, afin que, voyant les fruits salutaires de nos discours, nous vous parlions avec une confiance nouvelle. Déployez donc toute la bienveillance de votre âme pour entendre ce que j’ai à vous dire touchant le jeûne. Le fiancé qui doit épouser une vierge chaste et pudique orne sa maison de riches ameublements, il y établit le bon ordre et la propreté, et il en chasse les servantes licencieuses et immodestes ; alors seulement il introduit son épouse dans la chambre nuptiale ; et de même je voudrais que, jaloux de purifier vos âmes, vous disiez adieu aux délices de la table et à l’intempérance des festins, et que vous réserviez au jeûne un bienveillant accueil, car il est pour nous la source et le principe de tous les biens, non moins que l’école de la chasteté et de toutes les vertus. Ce sera aussi le moyen de le commencer avec plus de joie et d’en retirer des fruits plus salutaires. Le médecin prescrit une diète sévère comme préparation à une énergique purgation ; il veut ainsi que la force du remède ne soit énervée par aucun obstacle et qu’il agisse avec une entière efficacité. Mais n’est-il pas plus nécessaire encore de purifier nos âmes par une exacte sobriété, afin que le jeûne produise en nous tous ses salutaires effets, et que l’intempérance ne nous en fasse point perdre les heureux fruits ?
2. Je ne doute pas que plusieurs ne taxent ce langage d’étrangeté ; mais je les prie de ne pas se rendre les esclaves de la coutume, et d’écouter paisiblement la voix de la raison. Ah ! quels avantages peut-il nous revenir de consumer cette journée dans les plaisirs de la table et les excès du vin ? Et que parlé-je d’avantages ! nous n’en saurions recueillir qu’une infinité de maux et d’inconvénients. Dès là que la raison se noie sous les flots du vin, nous tarissons dans leur source et dans leur principe les grâces du jeûne et de l’abstinence. Et puis quel spectacle plus hideux et plus repoussant que celui de ces hommes qui ont passé la nuit entière dans les orgies de l’ivresse, et qui au lever de l’aurore et aux premiers rayons du soleil, exhalent la puante odeur du vin dont ils se sont remplis ? Quiconque les rencontre ne les aborde qu’avec dégoût, leurs serviteurs les regardent d’un œil de mépris, et ils deviennent un objet de raillerie pour tous ceux qui conservent quelque décence : Mais ce qui est encore plus triste, c’est que par leurs excès et leur criminelle intempérance ils attirent sur eux la colère de Dieu ; car les ivrognes, dit l’Apôtre, ne posséderont point le royaume de Dieu. (1Cor. 7,10) Eh ! quel plus grand malheur que d’être exclu des parvis célestes pour un plaisir si court et si funeste ! A Dieu ne plaise qu’aucun de mes auditeurs soit adonné à cette honteuse passion ! je souhaite au contraire que tous passent cette journée dans une sage retenue, en sorte qu’à l’abri des orages et des tempêtes qu’excite l’ivresse, ils ouvrent au jeûne le port calme et paisible d’une âme sobre et tempérante. C’est ainsi qu’ils en recueilleront les fruits abondants.
Et en