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beau jeu pour nous débarrasser de toutes les funestes passions qui en dépendent. Et ne pensez pas que ce soit une chose bien grande et bien difficile que de mépriser les richesses. Lorsque je considère que tant d’hommes qui, pour une frivole satisfaction à donner à leur vanité, sacrifient de si grosses sommes pour rien, pour gagner la faveur de cette vile multitude, de cette populace en haillons qui encombre les places d’une ville, faveur qui prend fin avec le soir, qui n’attend pas même souvent le soir pour se dissiper, faveur qui produit quelquefois tant de déboires même avant que le jour finisse ; lorsque je considère aussi ces autres qui, chez les Gentils, conçoivent une telle passion pour la gloire qu’ils renoncent à tout ce qu’ils possèdent pour l’acquérir, ne se réservant qu’un vieux manteau avec un bâton, qu’ils se résignent à passer ainsi toute leur vie, à supporter toute cette peine et cette misère parce qu’ils espèrent s’acquérir ainsi un peu de renommée chez les hommes ; lorsque je réfléchis à ces choses, je ne sais plus sur quelle excuse, sur quel pardon nous pouvons compter, nous qui n’avons pas le courage de nous imposer les plus légers sacrifices pour accomplir les commandements de Dieu, pour acquérir une immortelle et impérissable gloire. Oui, nous faisons moins que ces hommes, et cependant quelle différence entre les récompenses à conquérir ! Eux, c’est pour le gain d’une vaine renommée parmi les hommes leurs semblables qu’ils font ces grands sacrifices, au lieu que nous c’est pour notre Maître, pour Celui de qui nous tenons tout, pour Celui qui nous promet encore d’ineffables biens, que nous ne voulons pas même donner la plus petite aumône à un pauvre !
Et de quels yeux regarderons-nous notre Juge après avoir négligé un commandement si facile ? Je ne vous demande pas de renoncer à tous vos biens. Jouissez largement de votre abondance, et lorsque vos besoins seront satisfaits, employez à un usage nécessaire ce que vous avez de superflu et d’inutile ; distribuez-le, ce superflu, à ceux qui souffrent de la faim, à ceux qui grelottent de froid, et, par leur moyen, envoyez-le dans votre patrie où vous irez bientôt le retrouver. Ces malheureux vous serviront beaucoup au transport de vos richesses dans l’autre monde ; et quand vous y arriverez, vous les retrouverez parfaitement conservées, en sorte que vous vivrez dans l’abondance, grâce à ces biens ainsi transportés, et même multipliés par la bonté de Dieu. Est-ce donc là une chose bien difficile, bien laborieuse, bien épineuse ? Ce transport s’effectue sans bête de somme, sans escorte, sans aucun appareil. Nul voleur ne fréquente cette route et ne peut dérober ce que vous expédiez ainsi. Ce que vous mettez dans les mains des pauvres, vous le déposez en lieu sûr ; puisque vous le déposez dans la main de Dieu. Elle conservera votre dépôt intact, cette main divine et lorsque vous entrerez dans votre patrie elle vous le rendra ; elle vous le rendra avec des éloges, avec des couronnes, avec la plénitude d’un bonheur sans limites comme sans déclin. Ainsi donc versez, versez vos richesses et vos épargnes dans le sein des pauvres ; semons tandis qu’il en est temps, afin que nous moissonnions quand la saison sera venue ; ne laissons point passer le temps opportun, notre négligence serait suivie de regrets inutiles.
Si Dieu vous a départi les biens de ce monde plus largement qu’à d’autres, est-ce donc pour qu’employant à votre seul usage une partie de ce qu’il vous donne, vous entassiez le reste dans vos coffres et dans vos greniers ? Non, il n’en est pas ainsi ; mais selon la parole de l’Apôtre, il veut que votre abondance subvienne à l’indigence de vos frères. (2Cor. 8,14) Et peut-être usez-vous de ces biens plus qu’il n’est permis, dépensant votre argent en voluptés, en vêtements, en luxe de toutes sortes, en esclaves, en bêtes de toutes espèces ? Le pauvre ne demande rien de tout cela ; ce qu’il attend de vous, c’est que vous apaisiez sa faim, que vous lui donniez le pain de chaque jour, que vous lui procuriez les autres choses nécessaires pour qu’il vive, qu’il ne périsse pas, et vous ne daignez pas le faire ! et cependant vous devriez songer que là plupart du temps, subitement enlevé, vous abandonnez tout ce que vous avez amassé, parfois à des étrangers, à des ennemis ; et vous, que vous reste-t-il ? vos péchés que vous avez commis pour amasser ces biens, voilà tout ce que vous emportez avec vous. Et que direz-vous en ce jour terrible ? comment vous excuserez-vous d’avoir traité avec tant de négligence l’affaire de votre salut ? Ainsi écoutez mes conseils, et pendant qu’il en est encore temps, distribuez vos richesses superflues aux pauvres, c’est le moyen d’assurer votre salut en l’autre monde et d’obtenir, en échange de vos biens périssables, des biens immortels que je vous souhaite à tous,