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dépouillé de sa dignité et précipité du ciel sur la terre ; et de même il a voulu vous faire encourir, par votre désobéissance, l’anathème de la mort, et satisfaire ainsi sa noire jalousie, selon cette parole du Sage : Par l’envie de Satan, la mort est entrée dans l’univers. (Sag. 2,24)
La femme prit donc du fruit et en donna à son mari ; et ils en mangèrent, et leurs yeux furent ouverts. Combien l’homme fut coupable ! car, quoique la femme fût une portion de sa substance et même son épouse, il devait préférer le précepte du Seigneur à ses vains désirs, et ne point se rendre complice de sa désobéissance. Un plaisir si frivole méritait-il qu’il se privât lui-même des plus excellents avantages, et qu’il offensât le Maître qui l’avait enrichi de tant de biens et qui lui avait accordé une existence exempte de douleurs et de fatigues ? Est-ce qu’il ne lui était pas permis de jouir abondamment de tous les fruits du paradis terrestre ? Pourquoi donc, ô homme ! n’as-tu pas voulu, et toi aussi, observer cette légère défense ? C’est que, sans doute, tu as connu par ton épouse la promesse de l’esprit tentateur ; et soudain, enflé de la même présomption, tu as mangé du fruit défendu. Aussi tous deux serez-vous cruellement punis et apprendrez-vous, par une dure expérience, qu’il valait mieux obéir à Dieu que suivre les conseils du démon.
5. La femme prit donc le fruit et en donna à son mari, et ils en mangèrent ; et leurs yeux furent ouverts, et ils connurent qu’ils étaient nus. Ici se présente la question importante dont je vous parlais hier ; car on peut demander avec raison quelle vertu avait cet arbre, dont le fruit ouvrait les yeux de ceux qui en mangeaient, et pourquoi il est appelé l’arbre de la science du bien et du mal. Attendez un peu, s’il vous plaît, et je satisferai votre juste curiosité. Et d’abord, observons qu’une étude droite et éclairée des saintes Écritures en résout facilement les difficultés. Ainsi, ce n’est point précisément parce qu’Adam et Eve mangèrent de ce fruit que leurs yeux furent ouverts, puisque auparavant ils avaient l’usage de la vue ; mais, parce que cet acte d’intempérance était en même temps un acte de désobéissance aux ordres du Seigneur, on lui attribue la privation de la gloire qui les entourait et dont ils s’étaient eux-mêmes rendus indignes.
C’est pourquoi l’Écriture dit, selon son langage ordinaire, qu’ils en mangèrent, et que leurs yeux furent ouverts, et qu’ils connurent qu’ils étaient nus. Oui, le péché, en les dépouillant de la grâce céleste, leur donna le sentiment de leur nudité ; en sorte que cette honte qui les saisit soudain leur fit voir dans quel abîme leur désobéissance les avait précipités. Avant cette désobéissance, ils vivaient dans une parfaite sécurité et ne se doutaient pas qu’ils étaient nus ; du reste, ils ne l’étaient point, puisque la gloire céleste les couvrait bien mieux que tout vêtement. Mais, quand ils eurent mangé du fruit défendu et qu’ils eurent ainsi violé le précepte du Seigneur, ils furent réduits à une si profonde humiliation que le sentiment de la honte les porta à chercher un voile à leur nudité. C’est que la transgression du précepte divin les avait dépouillés de la gloire et de la grâce céleste qui les revêtaient comme d’un splendide vêtement ; et, en leur faisant connaître leur nudité, elle les avait pénétrés d’un vif sentiment de honte.
Et ils entrelacèrent des feuilles de figuier et s’en firent des ceintures. Mesurez, mon cher frère, je vous y invite, la profondeur de l’abîme où, du faîte de la gloire, le démon fit tomber nos premiers parents. Naguère ils étaient revêtus d’un éclat céleste, et maintenant ils sont contraints d’entrelacer des feuilles de figuier et de s’en faire des ceintures. Tel fut le résultat des tromperies du démon et des embûches qu’il leur tendit. Certes, il ne se proposait point de leur procurer quelques avantages nouveaux, mais il ne voulait que les dépouiller de ceux qu’ils possédaient, et les réduire ainsi à une honteuse nudité. Et, parce que leur désobéissance eut pour occasion le fruit défendu, l’Écriture dit qu’ils en mangèrent et que leurs yeux furent ouverts, ce qui doit s’entendre de la perception de l’esprit bien plus que de l’organe de la vue ; car, après leur péché, Dieu leur fit ressentir des impressions que, par un effet de son extrême bonté, ils ignoraient auparavant. Cette expression leurs yeux furent ouverts signifie que Dieu leur fit sentir la honte de leur nudité et la privation de la gloire dont ils jouissaient. Au reste, ce langage est ordinaire à l’Écriture, comme lé prouve cet autre passage de la Genèse : Agar, esclave fugitive, errait dans le désert, et, ayant placé son enfant Sous un palmier, elle s’éloigna pour ne point le voir mourir. Alors, Dieu lui ouvrit les yeux. (Gen. 21,19) Ce n’est pas