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louer les uns et de réprimander les autres, afin que ceux-ci se corrigent de leur négligence et que ceux-là redoublent de zèle. Les exordes sont encore utiles pour une autre cause. Les sujets que nous traitons sont ordinairement trop vastes pour qu’il soit possible de les achever en une seule fois, nous sommes obligés de donner deux et trois, et même quatre discours à la même matière. De là encore, la nécessité de reprendre chaque fois les conclusions de l’instruction précédente ; cet enchaînement est nécessaire à la clarté de l’exposition ; sans lui nos auditeurs ne verraient rien à nos discours. Pour vous faire comprendre combien, sans la préparation de l’exorde, un discours serait peu compréhensible, écoutez, j’entame brusquement mon sujet ; c’est une expérience que je veux faire. Jésus l’ayant regardé, lui dit : Tu es Simon, fils de Jonas, tu t’appelleras Céphas, c’est-à-dire Pierre. (Jn. 1, 42) Voyez, comprenez-vous ? Savez-vous ce qui précède et amène cette parole ? En face de ce sujet brusquement entamé, vous voilà comme un homme que l’on introduirait au théâtre après l’avoir entouré de voiles épais. Eh bien ! ces voiles, ôtons-les maintenant par le moyen d’un exorde. C’était sur saint Paul que roulait dernièrement notre discours, nous parlions des noms, et nous recherchions pourquoi cet apôtre s’appela d’abord Saul, puis Paul. De là, nous sommes passés à l’Ancien Testament, et nous avons passé en revue tous ceux à qui Dieu a donné des noms. Nous en sommes venus à Simon et à la parole que le Seigneur lui adresse : Tu es Simon, fils de Jonas, tu t’appelleras Céphas, c’est-à-dire Pierre. Voyez-vous comment ce qui semblait hérissé de difficultés est devenu facile et uni ? De même qu’il faut une tête à un corps, une racine à un arbre, une source à un fleuve, de même il faut un exorde à un discours. Maintenant que nous vous avons amenés jusqu’à l’entrée de la voie et que vous voyez la suite des choses, entamons le commencement de l’histoire. Saul respirant encore la menace et le meurtre contre les disciples du Seigneur. (Act. 9, 1)
Il s’appelle Paul dans les Epîtres. Pourquoi donc le Saint-Esprit lui a-t-il changé son nom ? Quand un maître achète un esclave, il lui donne un autre nom pour lui faire mieux comprendre à qui il appartient ; c’est aussi ce qu’a voulu le Saint-Esprit. Il avait fait saint Paul prisonnier de guerre, il n’y avait pas longtemps qu’il s’en était rendu maître, il lui changea donc son nom pour lui faire sentir qu’il avait un nouveau maître. Le pouvoir d’imposer des noms est une marque de domination ; nous le voyons manifestement par la pratique journalière de la vie et, mieux encore, par la conduite de Dieu envers Adam. Voulant lui montrer qu’il l’établissait maître de la terre et de ses habitants, il amena devant lui tous les animaux, afin qu’il vît à leur donner des noms (Gen. 2, 19) ; ce qui montre bien que c’est une prise de possession que l’imposition d’un nom. On en use de même parmi les hommes, et c’est assez l’habitude de ceux qui font des prisonniers à la guerre de leur changer leurs noms. C’est ce que fit, par exemple, le roi des Babyloniens pour Ananias, Azarias et Misaël, ses prisonniers de guerre, auxquels il donna les noms de Sidrac, Misac et Abdénago.
Mais pourquoi le changement du nom n’eut-il lieu que plus tard pour l’Apôtre, et non immédiatement ? Parce qu’un changement si prompt n’eût pas assez laissé paraître la conversion de Paul, et que son passage à la foi eût été moins remarqué. Ce qui arrive pour les esclaves fugitifs, qui se rendent introuvables par un simple changement de nom, serait arrivé pour Paul ; si ; tout en passant de la synagogue à l’église, il avait pris un autre nom, il serait demeuré inaperçu, et personne n’aurait découvert le persécuteur dans l’Apôtre. Or, l’important, c’était précisément que l’on apprît que le persécuteur était devenu apôtre. Rien ne confondait les Juifs comme de voir que celui qui avait été leur maître fût devenu leur adversaire. Le Saint-Esprit a donc laissé quelque temps à l’Apôtre son premier nom, de peur qu’un prompt changement de nom ne cachât le changement du cœur. Il faut que tous sachent que celui qui d’abord persécutait l’Église en est devenu le défenseur ; cette prodigieuse conversion une fois connue, le nom sera changé. Cette raison nous est indiquée par saint Paul lui-même, lorsqu’il dit : J’allai dans la Syrie et dans la Cilicie. Or, les Églises de Judée ne me connaissaient point de visage. (Gal. 1, 21) S’il était inconnu dans la Palestine, où il demeurait, combien plus dans les pays éloignés ! Son visage était inconnu, mais il ne dit pas que son nom le fût. Pourquoi les fidèles ne connaissaient-ils point son visage ? C’est que nul d’entre eux n’osait le regarder en