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ouvrait ce livre ? combien de temps se serait écoulé avant que nous fussions arrivés à ce qu’on rapporte de saint Paul ? Je vais vous en donner une idée en vous récitant le commencement. J’ai fait mon premier discours, ô Théophile, sur tout, etc. Combien croyez-vous que ces mots renferment de questions ? Premièrement, pourquoi saint Luc rappelle le livre qu’il avait écrit d’abord ? Deuxièmement pourquoi il l’appelle discours et non Évangile, puisque Paul l’appelle Évangile ? il dit en effet en priant de Luc : Dont l’éloge, à cause de l’Évangile, est dans toutes les Églises. (2Co. 8, 18) Troisièmement, pourquoi il dit : sur tout ce que Jésus a fait ? Car si Jean, le bien-aimé du Christ, celui qui jouissait de son intimité, qui eut l’honneur de reposer sa tête sur sa poitrine sacrée, qui puisa là l’abondance de l’Esprit-Saint, n’a pas osé parler ainsi, mais a eu recours à cette formule toute de précaution : Si les choses que Jésus a faites étaient écrites en détail, je ne pense pas que le monde lui-même pût contenir les livres qu’il faudrait écrire; si, dis-je, il en est ainsi, comment Luc a-t-il osé dire : J’ai fait mon premier discours, ô Théophile, sur tout ce que Jésus a fait ? Pensez-vous que ce soit là une petite question ? Il y a dans l’Évangile excellent Théophile, et le nom de la personne y est accompagné de son doge ; mais les saints ne parlent pas ainsi sans motif. Et peut-être avons-nous déjà quelque peu démontré qu’il n’y a pas dans l’Écriture un iota, pas un point qui n’ait sa raison d’être. Si donc le début nous offre tant de questions, combien n’aurions-nous pas employé de temps à suivre l’ordre du récit ? Voilà ce qui m’a forcé à passer au milieu et à arriver tout de suite à Paul.
Et pourquoi avons-nous indiqué ces questions sans en donner la solution ? Pour vous accoutumer à ne pas toujours recevoir la nourriture toute préparée ; à chercher souvent par vous-mêmes à résoudre ces problèmes. Nous faisons comme les colombes : elles donnent la becquée à leurs petits, tant qu’ils restent dans le nid ; mais quand elles peuvent les en faire sortir, et qu’elles voient leurs ailes affermies, elles changent de méthode, elles apportent dans leur bec un grain qu’elles leur montrent, et quand les petits s’approchent pour le recevoir, les mères le laissent tomber sur le sol et le leur font ramasser ; et nous, nous faisons de même nous prenons à la bouche la nourriture spirituelle, et nous vous appelons comme pour vous donner, selon notre habitude, la solution des questions ; mais quand, réunis de toutes parts, vous attendez cette solution, nous la laissons tomber, afin que vous vous accoutumiez à penser par vous-mêmes. Aussi laissant là le commencement du livre, nous courons au chapitre où l’on parle de Paul ; et nous dirons, non pas seulement tous les services qu’il a rendus à l’Église, mais encore tous les maux qu’il lui a causés ; car il nous est nécessaire de les rappeler. Nous dirons comment il a attaqué la parole évangélique, comment il a combattu le Christ, comment il a poursuivi les apôtres, quel mépris il a fait de ses ennemis, comment il a suscité à l’Église plus de persécutions que tous les autres. Mais que personne ne regrette d’entendre ainsi parler de Paul ; car ces choses, loin d’être des accusations, fourniront matière à ses louanges. Ce n’est pas un crime que d’être mauvais d’abord et de devenir bon par la suite, mais bien d’être d’abord vertueux et de s’abandonner ensuite au vice : car c’est par la fin que l’on juge les choses. Que des pilotes aient fait souvent naufrage, si, lorsqu’ils sont sur le point d’entrer au port, ils ramènent enfin leurs navires remplis de marchandises, nous ne dirons pas qu’ils sont maladroits, parce que la fin fait oublier le reste ; que des athlètes, souvent vaincus, l’emportent enfin dans la lutte décisive et obtiennent la couronne, nous n’irons pas, à cause de leurs échecs précédents, les priver de nos éloges. Nous en userons de même à l’égard de Paul. Lui aussi a fait mille fois naufrage ; mais lorsqu’il fut sur le point d’entrer au port, il y amena un navire plein de marchandises. De même qu’il ne servit de rien à Judas d’avoir été d’abord disciple, parce qu’il fut traître ensuite, de même saint Paul n’a souffert aucun préjudice pour avoir été d’abord persécuteur, parce qu’il fut ensuite prédicateur de l’Évangile. C’est là la grandeur de Paul, non d’avoir renversé l’Église, trais de l’avoir ensuite édifiée ; non d’avoir attaqué la parole de Dieu, mais de l’avoir répandue après l’avoir attaquée ; non d’avoir combattu les apôtres, non d’avoir dispersé le troupeau, mais de l’avoir rassemblé après l’avoir d’abord dispersé.
5. Quoi de plus étrange ! Le loup est devenu pasteur ; celui qui avait bu le sang des brebis n’a pas cessé de verser son sang pour le salut des brebis. Voulez-vous voir qu’il a bu le sang