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perdu, incorrigible. Quoi que vous puissiez dire, il n’est point pire que Saül qui, sauvé par David une fois, deux lois et plus, ne cessa de conspirer contre sa vie ; qui ensuite, comblé de nouveaux bienfaits en retour, resta obstinément dans sa perversité. Qu’avez-vous à dire, en effet ? qu’il a dévasté votre terre, empiété sur vos champs, pénétré dans l’enceinte de votre maison, enlevé vos esclaves, qu’il vous a outragé, frustré, réduit à la misère ? mais il ne vous a pas encore ôté la vie, ce que Saül cherchait à faire ; et quand il aurait entrepris de vous ôter la vie, c’est urge fois peut-être qu’il l’aurait essayé, et non deux, trois fois et plus, ainsi que Saül : et quand ce serait une, deux, trois fois et plus, du moins ce ne serait pas après avoir reçu de pareils bienfaits, ce ne serait pas après être tombé une et deux fois dans vos mains, et avoir été épargné : et quand bien même tout cela serait, je dis que David conserverait encore l’avantage. En effet, ce n’était point la même chose d’agir avec une pareille sagesse au temps de l’ancienne loi, ou de se signaler par de pareilles bontés, aujourd’hui que la grâce nous a été donnée. David n’avait pas entendu la parabole des dix mille talents et des cent deniers ; David n’avait pas entendu la prière qui dit : Remettez aux hommes leurs dettes, ainsi que votre Père céleste. (Mc. 11,25) David n’avait pas vu le Christ mis en croix, son sang précieux répandu ; il n’avait pas entendu tant de préceptes de sagesse ; il n’avait pas goûté à une telle victime, ni pris sa part du sang du Maître ; élevé dans des lois imparfaites et qui n’exigeaient rien de pareil, il sut atteindre la cime de la sagesse suivant la grâce. Souvent on voit votre colère et votre ressentiment s’allumer au souvenir du passé : David, qui craignait pour l’avenir, qui savait parfaitement que sa patrie lui deviendrait inhabitable, que l’existence lui serait intolérable, s’il sauvait son ennemi, David néanmoins ne s’écarta pas de ses devoirs envers lui, mais il s’en acquitta pleinement, et ne craignit pas de se ménager un ennemi. Qui pourrait citer un plus grand exemple de patience ? Mais les faits mêmes qui se passent sous vos yeux vont vous faire voir qu’il vous est possible, si vous le voulez, de ramener à vous un homme animé de sentiments hostiles à votre égard. Qu’y a-t-il de plus sauvage que le lion ? néanmoins il y a des hommes qui l’apprivoisent ; l’art fait violence à la nature, et rend plus doux qu’un mouton le plus farouche et le plus fier de tous les animaux féroces, qui désormais traverse la place publique sans effrayer personne. Quelle excuse nous reste-t-il donc, que pouvons-nous dire pour nous justifier, nous qui apprivoisons les bêtes féroces, et qui nous prétendons incapables d’adoucir jamais des hommes, de les rendre jamais bienveillants à notre égard ? Cependant c’est en dépit de la nature qu’une bête féroce s’apprivoise, et c’est en dépit d’elle qu’un homme est farouche. Si donc nous triomphons de la nature, comment nous justifier, quand nous affirmons notre impuissance à corriger la volonté ? Que si vous résistez encore, j’ajouterai un dernier argument : c’est que, à supposer même le malade incurable, plus la peine sera grande, plus la récompense sera belle pour le médecin qui, au lieu de l’abandonner, continuera à prodiguer ses soins à ce malade désespéré.
En conséquence, ne songeons qu’à une chose : non à n’endurer aucun mauvais traitement de la part de nos ennemis, mais à ne pas nous faire de mal à nous-mêmes : de cette façon, quelques épreuves qu’il nous faille subir, nous ne serons pas bien à plaindre : ainsi David poursuivi, fugitif, en butte à des entreprises qui menaçaient jusqu’à sa vie, loin d’être à plaindre pour cela, était aux yeux de tous plus glorieux, plus auguste, plus aimable que Saül, et cela non seulement aux yeux des hommes, mais encore aux yeux de Dieu même. En effet, quel tort fit à ce saint la persécution dirigée alors contre lui par Saül ? Ne le célèbre-t-on pas encore aujourd’hui ? n’est-il pas glorieux sur la terre, plus glorieux dans le ciel ? Les biens ineffables, le royaume des cieux ne lui sont-ils pas réservés ? Que gagna, au contraire, ce malheureux, ce misérable, à tant de complots ? N’a-t-il pas été précipité du trône, n’a-t-il pas péri tristement avec son fils, n’est-il pas l’objet d’accusations universelles, et ce qui est plus grave, n’est-il point maintenant livré aux châtiments éternels ? Mais voyons enfin quel est le grief qui t’empêche de te réconcilier avec ton ennemi. Il t’a ravi de l’argent ? Eh bien ! si tu supportes noblement ce préjudice, tu recevras une récompense égale à celle que tu aurais méritée en déposant la même somme entre les mains des pauvres. Car celui qui donne aux pauvres, et celui qui ne poursuit ni de ses entreprises ni de ses imprécations son spoliateur, agissent également l’un et l’autre en