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Jésus portait sa croix ; plus loin, Simon la lui prit et la porta. De même pour les larrons, celui-ci dit que tous deux blasphémèrent contre Jésus, celui-là que l’un blâma les injures que vomissait l’autre. Et cependant il n’y a là rien de contradictoire. Pourquoi ? Parce que ces deux choses eurent lieu : au commencement tous deux insultaient Jésus ; mais quand il s’opéra de grandes merveilles, que la terre trembla, que les rochers se fendirent, que le soleil s’obscurcit, l’un des larrons se convertit, il devint meilleur, reconnut le Crucifié et confessa qu’il était Roi. Et afin de ne pas nous laisser croire que c’est par une nécessité, par une force intérieure qu’il agit ainsi, afin de ne pas laisser place au doute, l’Évangile nous le montre conservant jusque sur la croix sa méchanceté première, pour nous faire reconnaître que c’est de lui-même et de son propre mouvement qu’il change et que c’est la grâce de Dieu qui le rend meilleur.
4. Il y a, dans les évangiles, bien de ces passages qui paraissent opposés sans l’être en effet ; les faits rapportés par l’un se sont passés aussi bien que ceux qui sont racontés par l’autre ; seulement ils ne parlent pas du même moment : l’un dit ce qui a eu lieu d’abord, l’autre ce qui a eu lieu ensuite. Mais ici rien de semblable, et le grand nombre de circonstances rapportées ne permet pas même après l’examen le plus superficiel de douter que ces deux paralytiques ne soient différents. Ce serait un rude travail que de montrer, dans l’hypothèse opposée, l’accord complet des évangélistes entre eux ; s’il n’y a qu’un malade, tout est contradictoire : si vous en admettez deux, tout se concilie facilement.
Exposons donc les motifs qui nous font dire qu’il y a deux paralytiques différents. Quels sont-ils ? C’est à Jérusalem que l’un est guéri, l’autre à Capharnaüm : l’un près de la piscine, l’autre dans une petite maison, voilà pour le lieu ; le premier en un jour de fête, voilà le moment précisé ; l’un était malade depuis trente-huit ans, de l’autre il n’est rien dit de semblable, voilà pour le temps ; l’un en un jour de sabbat, voilà pour le jour ; et si le second avait été guéri un jour de sabbat, saint Matthieu n’aurait pas manqué de le dire, ni les Juifs présents d’en faire la remarque : car si déjà ils s’indignèrent d’une guérison qui cependant n’avait pas été faite un jour de sabbat, que n’eussent-ils pas dit s’ils avaient pu saisir ce prétexte pour accuser Notre-Seigneur ? Le dernier est apporté à Jésus-Christ, le premier c’est Jésus-Christ qui va le trouver, et il n’avait personne pour le secourir : Seigneur, dit-il, je n’ai personne (Jn. 5, 7), tandis que le second avait beaucoup de parents qui le descendirent même par le toit. Pour le premier, Jésus-Christ guérit son corps avant son âme, car c’est après l’avoir délivré de sa paralysie qu’il lui dit : Voici que vous êtes guéri, ne péchez plus. Pour le second, il n’en est pas de même : il guérit d’abord son âme, car il lui dit : Ayez confiance, mon fils, vos péchés vous sont remis (Mat. 9, 2), et ensuite il le délivre de sa paralysie.
Maintenant que nous voyons avec évidence qu’il y en a deux, il nous reste à reprendre la narration tout entière, à voir comment s’est opérée la guérison de l’un, comment celle de l’autre, pourquoi toutes deux d’une manière différente, l’une le jour du sabbat, l’autre un autre jour, pourquoi Jésus vient vers l’un, tandis qu’il se laisse apporter l’autre, pourquoi dans un cas c’est le corps, dans l’autre l’âme qu’il guérit d’abord. Ce n’est pas sans motif qu’il agit ainsi, lui qui sait et prévoit tout. Attention donc et voyons d’abord quel est le médecin ! Si, lorsque les médecins doivent se servir du fer ou du feu pour quelque opération difficile, lorsqu’ils ont à pratiquer une incision ou une amputation sur un membre blessé ou infirme, si, dis-je, en pareil cas l’on s’empresse avec un intérêt curieux autour de l’opérateur et du patient, combien plus devons-nous le faire ici, puisque le médecin est plus grand, le mal plus grave, et que ce n’est pas l’art des hommes, mais la grâce de Dieu qui opère la guérison ? Là vous voyez la peau coupée, le pus qui coule, la pourriture qui sort ; quelle répulsion n’inspire pas un tel spectacle l quelle peine et quelle douleur cause non-Seulement la vue des blessures, mais la vue des souffrances des personnes ainsi traitées ! (Car qui serait assez insensible pour qu’en présence de pareils maux et au ; milieu de tant de gémissements, il ne fût pas ému, n’éprouvât pas de compassion et ne sentît pas son âme attristée ?) et cependant la curiosité nous fait supporter ce spectacle : ni rien de semblable ; on ne voit ni fer, ni feu, ni sang qui coule, ni malade qui souffre et gémisse ; la seule chose qu’il y ait, c’est là sagesse du médecin qui n’a pas. Besoin de ces secours extérieurs et qui se