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vois se mouvoir. Est-elle vivante ? mais elle n’a pas la conscience de ce qu’elle fait. Je ne saurais trouver le mot qui exprime sa souffrance. Ayez pitié de moi. Si ma fille était morte, je ne souffrirais pas ce que je souffre ; j’aurais déposé son corps dans le sein de la terre, et, avec le temps, l’oubli serait venu, la blessure se serait cicatrisée ; mais maintenant j’ai toujours un cadavre sous les yeux, qui fait à mon cœur une continuelle blessure, qui toujours accroît ma douleur. Comment puis-je voir des yeux bouleversés par la convulsion, des mains qui se tordent, des cheveux en désordre, l’écume qui sort de la bouche, le démon intérieur qui se manifeste sans se montrer ? Le bourreau qui flagelle est invisible ; mais les coups, je les vois. Je suis là contemplant ces douleurs hors de moi ; je suis là, et la nature me perce de son aiguillon. Ayez pitié de moi. Affreuse tempête, douleur épouvantable ; douleur qui vient de la nature, épouvante qu’inspire le démon. Impossible à moi de l’approcher, impossible à moi de la toucher. La douleur me pousse auprès d’elle, l’épouvante me repousse loin d’elle. Ayez pitié de moi.

5. Méditez bien la sagesse de la femme. Elle ne va pas trouver les sorciers, elle n’appelle pas les devins, elle n’a pas recours aux amulettes, elle n’a pas la pensée de payer des femmes qui vendent des sortilèges, qui évoquent les démons, qui ne font qu’aigrir la maladie ; elle quitte l’officine du démon, elle se rend près du Sauveur de nos âmes. Ayez pitié de moi, ma fille est misérablement tourmentée par le démon. Vous comprenez sa douleur, vous tous qui êtes pères ; venez en aide à mon discours, vous toutes qui êtes mères. Je ne peux pas décrire la tempête qu’a supportée cette pauvre femme. Ayez pitié de moi : ma fille est misérablement tourmentée par le démon. Avez-vous compris la sagesse de la femme ? avez-vous compris sa constance ? avez-vous compris sa force virile ? avez-vous compris sa patience ? Mais il ne lui répondit pas un seul mot. Chose étrange ! elle le prie, le conjure, déplore auprès de lui son malheur, développe cette tragique histoire, lui raconte son affliction, et lui, plein de bonté pour les hommes, il ne répond pas. Le Verbe se tait, la source demeure fermée, le médecin garde ses remèdes. Quelle nouveauté surprenante ! Tu cours auprès des autres, cette malheureuse accourt auprès de toi, et tu la chasses ! Mais considérez la sagesse du médecin. Mais il ne lui répondit pas un seul mot. Pourquoi ? c’est qu’il ne considérait pas ses paroles, il remarquait les secrets de sa pensée. Mais il ne lui répondit pas un seul mot. Et les disciples ? la femme n’obtenant pas de réponse, ils s’approchent de lui et lui disent : Accordez-lui ce qu’elle demande, parce qu’elle crie derrière nous. (Mt. 15,23) Mais tu n’entends, toi, que le cri du dehors ; j’entends, moi, le cri du dedans : grande est la voix de la bouche ; plus grande, celle de la pensée. Accordez-lui ce qu’elle demande, parce qu’elle crie derrière nous . Un autre Évangéliste dit, devant nous[1]. Les paroles se contredisent, mais il n’y a pas de mensonges ; la femme fit les deux. D’abord elle cria derrière ; ensuite, n’obtenant pas de réponse, elle alla devant, comme un chien qui lèche les pieds de son maître. Accordez-lui ce qu’elle demande. Elle était là en spectacle, elle, rassemblait le peuple ; les disciples ne considéraient que d’une façon tout humaine la douleur de la femme, le Maître, au contraire, considérait en outre le salut de cette femme. Accordez-lui ce qu’elle demande, parce qu’elle crie, derrière nous. Que fait donc alors le, Christ ? Je n’ai été envoyé qu’aux brebis de la maison d’Israël qui se sont perdues. (Mt. 15,21) Par cette réponse, il irrita sa blessure : c’était le médecin qui coupe, non pour diviser, mais pour réunir.

6. Ici accordez-moi toute votre attention. Je veux traiter une question profonde. Je n’ai été envoyé qu’aux brebis de la maison d’Israël qui se sont perdues. Est-ce là toute votre mission ? vous vous êtes fait homme, vous vous êtes incarné, vous avez fait de si grandes choses pour ne sauver qu’un coin du monde, et qui périr sait. La terre entière n’est-elle donc qu’un désert dans le pays des Scythes, des Thraces, des Indiens, des Maures, en Cilicie, en Cappadoce, en Syrie, en Phénicie, dans tous les lieux.que voit le soleil ? C’est pour les seuls Juifs que vous êtes venu ? toutes les n nions, vous les négligez ? et peu vous importe la graisse des sacrifices, la fumée, votre Père outragé, les idoles adorées, les démons qui reçoivent un ' culte ? Cependant les prophètes ne nous disent vas cela ; votre aïeul selon là chair, que dit-il ? Demandez-moi, et je vous donnerai les nations pour votre héritage, et j’étendrai votre possession jusqu’aux extrémités de la terre. (Psa. 2,8)

  1. Saint Marc (Mc. 7, 25) dit : Elle se jeta devant ses pieds ; de là vient que saint Chrysostome qui cite de mémoire, dit devant nous.