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pour faire entendre que cela n’a pas de valeur, vous serez au-dessous de la vérité. On a beau dire une fumée, un brin d’herbe, un songe, des fleurs du printemps : de quelque nom qu’on désigne les choses humaines, caduques périssables, elles le sont plus encore, plus néant que le néant même. Et maintenant qu’il y ait à la fois dans les choses de ce monde néant et précipice, en voici la preuve. Quel homme fut plus élevé que celui-ci ? La terre entière vit-elle rien d’égal à ses richesses ? N’était-il pas monté au faîte des honneurs ? N’est-il pas vrai que tous tremblaient, frémissaient devant lui ? Mais, voici qu’à présent les prisonniers sont moins affligés que lui, les esclaves sont moins misérables, les mendiants, les affamés sont moins indigents ; chaque jour, il voit les glaives aiguisés, et la fosse des criminels, et les bourreaux, et la mort au bout du supplice ; il n’a pas même le souvenir de sa grandeur passée ; il ne jouit pas même des rayons du soleil ; la pleine clarté du jour est comme la nuit la plus épaisse pour ce captif environné de murailles et privé de l’usage de ses yeux. Inutiles efforts d’un discours impuissant à exprimer l’angoisse d’un homme qui attend d’heure en heure le coup de la mort ! Qu’est-il besoin de nos paroles, quand il s’est lui-même comme dessiné à nos yeux, nous montrant de son âme une si claire image ? Hier, quand il vit venir à lui les gens du palais de l’empereur qui voulaient l’arracher violemment de ces lieux, quand il courut vers les vases sacrés, son visage était, voyez-le encore, absolument le visage d’un cadavre ; ajoutez à cela le grincement de ses dents et le craquement de ses membres, et le tremblement de tout son corps, et ses cris inarticulés, et sa langue engourdie, et tout son aspect enfin, n’eût-on pas dit, à le voir, que son âme s’était comme pétrifiée.
3. Et si je parle ainsi, ce n’est pas que je veuille l’outrager, je lie foule pas sous mes pieds son infortune ; au contraire, je veux vous fléchir, vous résoudre à la pitié, vous persuader qu’il doit vous suffire du châtiment qui a eu lieu. Puisqu’il y a parmi nous un grand nombre d’hommes qui nous accusent, nous aussi, et nous reprochent de l’avoir recueilli près de l’autel, c’est pour attendrir leur âme insensible que j’étale les souffrances de cet infortuné.
Voyons, d’où vient ton indignation, parle, mon ami, mon frère ? C’est que, me répond-il, celui qui s’est réfugié dans le sein de l’Église, a combattu l’Église sans relâche. Eh bien ! c’est précisément pour cette raison qu’il faut, surtout rendre gloire à Dieu. Dieu a permis que cet homme fût forcé de reconnaître et la puissance de l’Église et sa mansuétude : sa puissance, pare que l’homme précipité de si haut ne l’a été que pour avoir combattu l’Église ; sa mansuétude, parce que l’Église combattue par lui étend sur lui maintenant son bouclier, et le reçoit sous ses ailes, et le met à l’abri de tous les périls ; et, oubliant les injures passées ; ouvre son sein pour le recevoir avec affection, avec amour. Voilà le plus glorieux de tous les trophées, voilà la victoire la plus éclatante, voilà ce qui ouvre les yeux des Gentils, voilà ce qui confond les Juifs ! voilà ce qui met au visage de l’Église de splendides rayons ; voyez ! son ennemi est chargé de chaînes ; elle le prend, elle lui fait grâce ; autour de l’infortuné, la solitude ; tous le dédaignent : seule, comme une mère affectueuse, l’Église l’a caché sous ses voiles, et à la fierté du ressentiment impérial, et à la colère du peuple, et à une haine implacable, elle tient tête ! voilà, par excellence, l’ornement du sanctuaire.
Quel ornement ! me réplique-t-on : le monstre qui a tant à expier, ce cupide, ce pillard, on lui permet de toucher le sanctuaire ! Ne prononcez pas ces paroles, puisque aussi bien la femme de mauvaise vie a touché les pieds du Christ, cette femme qui avait tant à expier, cette impudique ; et il n’y avait pas là une raison d’accuser Jésus. Mais ce qui arriva fut un prodige digne d’être célébré dans des cantiques de gloire ; car le Dieu pur n’a pas été souillé par la femme impure ; mais celle qui avait tant à expier, la femme de mauvaise vie, au contact de l’être pur et sans reproche, a reconquis la pureté. Ne garde pas le souvenir des injures, ô homme ! Nous sommes les serviteurs de Celui qui, sur la croix, disait : Pardonnez-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font. (Luc. 23,34) : Mais, me réplique-t-on, entre ce refuge et lui, lui-même amis un mur, que ses édits, que ses lois ont élevé. Mais, voyez donc ! l’expérience lui a montré ce que valait ce qu’il a fait ; et sa loi, il a été le premier à l’enfreindre, grâce à ce qu’il a fait ; et le voilà le spectacle de la terre, et du lieu où il se trouve, sen silence même est une voix qui avertit ainsi l’univers : Ne faites pas ce que j’ai fait, pour ne pas souffrir ce