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votre frère a quelque chose contre vous, allez, réconciliez-vous d’abord avec votre frère, et alors revenant, vous offrirez votre don. (Mt. 5,23, 24) Voyez-vous comme partout il place nos intérêts avant les siens et comme il ne met rien au-dessus de la paix et de la charité envers le prochain ? En un autre endroit, il dit encore : Quiconque renvoie sa femme, hors le cas d’adultère, la rend adultère. (Id. 32) Mais voici la loi qu’il établissait par l’organe de saint Paul : Si un homme a une femme infidèle, et qu’elle consente à demeurer avec lui, qu’il ne se sépare point d’elle. (1Cor. 7,12) Si elle s’est rendue adultère, dit-il, chassez-la ; si elle est infidèle, ne la chassez pas ; si elle pèche contre vous, renvoyez-la ; si elle pèche contre moi, gardez-la. De même en cette circonstance, des péchés graves ont été commis contre le Maître, et ce bon Maître pardonne ; mais dès qu’il s’agit des fautes commises contre un frère, quoique plus légères et moins fréquentes que celles par lesquelles le Maître a été offensé, alors le Maître ne pardonne plus, au contraire, il sévit : il appelle le coupable méchant, tandis que dans le premier cas il ne lui a pas même adressé une parole de reproche. C’est encore pour faire mieux ressortir cette leçon que l’Évangéliste ajoute qu’il fut livré aux bourreaux. Lorsqu’il lui demanda compte des dix mille talents, il ne fit rien de tel. Nous apprenons ainsi que la première sentence n’était pas une sentence de colère, mais de miséricorde, et d’une miséricorde qui cherchait une occasion de pardonner. Au contraire, la dernière action l’a irrité. Qu’y a-t-il donc de plus mauvais que le désir de la vengeance, puisqu’il force Dieu à révoquer les effets de sa clémence et que ce que les péchés n’ont pu le contraindre de faire, le ressentiment contre le prochain le force à le faire ? Certes il est écrit que les dons de Dieu sont sans repentance. (Rom. 11,29) Pourquoi donc, après avoir accordé un tel bienfait, montré une telle clémence, Dieu a-t-il ici révoqué son propre jugement ? Parce que le serviteur a voulu se venger. Aussi ce n’est passe tromper que de regarder ce péché comme le plus grave de tous les péchés ; tous les autres ont pu trouver grâce ; pour celui-là seul il n’y a pas de pardon, et bien plus, il fait revivre ceux même qui sont effacés.
Le désir de la vengeance est donc un double mal, parce qu’il, est inexcusable auprès de Dieu et parce que, par ce péché, les autres fautes, même pardonnées, revivent et se représentent devant nous, comme il est arrivé en cette circonstance. Car il n’y a rien, rien, dis-je, qui offense et irrite Dieu comme de voir un homme animé de l’esprit de vengeance et de ressentiment. C’est ce que nous apprennent le passage que je viens de commenter et la prière dans laquelle le Christ nous a ordonné de dire : Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés. (Mt. 6,12) Sachant toutes ces choses, gravant dans notre cœur la parabole que nous avons méditée, lorsque nous penserons à ce que nos frères nous ont fait souffrir, pensons à ce que nous avons fait contre Dieu et la crainte de nos propres fautes aura bientôt réprimé la colère que les offenses reçues ont pu nous inspirer ; s’il y a des péchés dont nous devions nous souvenir, ce sont les nôtres seulement ; si nous nous souvenons des nôtres, nous aurons bientôt oublié ceux d’autrui, et si, au contraire, nous oublions les nôtres, ceux d’autrui se présenteront bientôt à notre pensée. Si ce mauvais serviteur avait songé aux dix mille talents qu’il devait, il aurait oublié les cent deniers ; mais, ayant oublié sa dette, il exigea de son compagnon ce qui lui était dû, et voulant recouvrer une petite somme, non seulement il ne l’obtint pas, mais il attira sur sa tête le poids des dix mille talents. Aussi vous dirai-je sans crainte que l’esprit d’inhumanité et de vengeance est le plus grave de tous les péchés, ou plutôt ce n’est pas moi qui vous le dis, c’est le Christ, en se servant de la parabole que j’ai développée. Car si ce crime n’était pas plus grave que les dix mille talents, c’est-à-dire que des péchés innombrables, il n’aurait pas fait revivre les fautes déjà pardonnées. Aussi que notre principale étude soit de réprimer en nous tout sentiment de colère et de nous réconcilier avec nos ennemis, certains que ni prière, ni jeûne, ni aumône, ni participation aux mystères, aucun acte de piété, en un mot, ne pourra, si nous gardons quelque rancune, nous être utile au grand jour des révélations, tandis qu’au contraire, si nous nous dépouillons entièrement de ce vice, fussions-nous mille fois pécheurs, nous pourrons obtenir quelque pitié. Et ce n’est pas moi qui vous le dis, c’est le Dieu qui viendra nous juger. Voyez la parabole que je viens d’expliquer : C’est, ainsi que vous traitera mon Père si chacun de vous ne pardonne