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se crurent obligés de vivre à la manière des Juifs ainsi que le maître. C’est là ce que Paul relève ; et, pour éclaircir mes paroles, je vous répéterai encore celles de l’Apôtre : Quand Pierre vint à Antioche, je lui ai résisté en face, car il était répréhensible. Avant que quelques disciples ne fussent venus de chez Jacques c’est-à-dire de Jérusalem, il mangeait avec les Gentils, c’est-à-dire avec ceux d’Antioche. Mais quand ces disciples furent venus de Jérusalem (c’étaient ceux qui restaient attachés à l’ancienne loi), il se retirait et se tenait à l’écart, craignant ceux qui étaient circoncis. Qui cela ? Ceux qui venaient de chez Jacques. Les autres juifs partagèrent cette dissimulation. Quels juifs ? Ceux qui, avant l’arrivée des disciples de Jérusalem, habitaient Antioche et n’avaient conservé aucune pratique judaïque. De sorte que Barnabé lui-même fut entraîné à dissimuler. Voilà comment l’accusation paraît formulée.
15. Si vous le voulez, je vais d’abord vous exposer les différentes justifications que d’autres auteurs ont imaginées, puis j’essaierai de vous expliquer mon avis, afin que vous puissiez choisir entre ces opinions. Comment différents écrivains ont-ils cherché à résoudre cette question ? Ce Pierre dont il s’agit ici, disent-ils, n’est pas le prince des apôtres, celui à qui les brebis du Christ furent confiées, mais un homme ordinaire et inconnu ; en un mot, le premier venu. Comment voient-ils cela ? Les autres juifs ayant été entraînés, Paul ajoute, disent-ils : De sorte que Barnabé lui-même fut entraîné à cette dissimulation. Ces mots : Barnabé lui-même montrent alors qu’il était bien plus étonnant de voir entraîner Barnabé que le Pierre en question ; il semble donc regarder Barnabé comme le plus grand des deux, puisqu’il dit : non seulement Pierre, mais Barnabé. Or Barnabé n’était pas supérieur à l’apôtre Pierre. Mais il n’en est pas ainsi ; non certes, il n’en est pas ainsi ! Ce n’est point à cause de la supériorité de Barnabé qu’il s’étonne, mais pourquoi ? Parce que Pierre avait été envoyé chez les circoncis, tandis que Barnabé prêchait avec Paul chez les Gentils, et était toujours d’accord avec Paul. Aussi dit-il ailleurs : Ou n’y a-t-il que moi seul et Barnabé qui n’ayons pas le droit de ne pas travailler (1Cor. 9,6) ; et encore : Je suis allé à Jérusalem avec Barnabé ; du reste, vous le voyez partout enseigner avec Paul. Ce n’est point parce que Barnabé était supérieur à Pierre que Paul s’étonne, mais c’est de voir que Barnabé qui prêchait toujours avec lui, qui n’avait pas affaire aux Juifs, mais enseignait les Gentils ait été lui-même entraîné. Du reste, ce qui précède et ce qui suit fait voir que c’est du véritable Pierre qu’il s’agit. Car pour dire qu’il lui a résisté en face, et pour regarder cela comme grave, il faut évidemment qu’il ait tenu tête à un personnage considérable ; pour tout autre, il n’aurait pas dit : Je lui ai résisté en face, et n’aurait point regardé cela comme grave. De plus, si t’eût été un autre Pierre, son changement n’aurait pas eu assez d’influence pour entraîner tous les autres juifs. En effet, il ne les a ni exhortés, ni consultés, seulement il s’est séparé et s’est retiré ; et cette séparation et cette retraite ont eu l’influence d’entraîner les disciples à cause du respect attaché à sa personne.
16. En voilà assez pour prouver que c’était Pierre lui-même. Voulez-vous connaître l’autre solution ? Quelle est-elle ? Paul avait raison de reprendre Pierre dont la condescendance était poussée trop loin. Car, de même que l’un, quand il venait à Jérusalem, se soumettait aux habitudes des Juifs, de même l’autre, venant à Antioche, devait laisser les mœurs juives pour prendre celles des Gentils. Ainsi, au milieu d’un peuple entièrement juif, Paul lui-même était forcé de vivre comme les Juifs ; de même, quand les Gentils étaient en majorité et que la ville ne réclamait nullement l’ancienne condescendance, il ne fallait pas scandaliser tant de Gentils par égard pour quelques Juifs. Mais ce n’est pas là résoudre, c’est grossir la question. Comme je l’ai dit en commençant ce discours, nous ne chercherons point à montrer que l’accusation de Paul était juste, car alors la question resterait tout entière, puisque Pierre aurait mérité ces reproches : ce que nous cherchons, c’est de faire voir que ni l’un ni l’autre n’étaient blâmable. Comment y parviendrons-nous ? En apprenant dans quel esprit l’un a fait le reproche et l’autre l’a reçu, et en expliquant leur pensée. Quelle était cette pensée ? Pierre lui-même désirait ardemment que les juifs envoyés de Jérusalem par Jacques abandonnassent les pratiques des Juifs. Mais si lui-même leur en avait donné l’idée et s’il avait dit : Cessez de vivre à la manière judaïque, il aurait eu l’air de blâmer lui-même tout ce qu’il avait fait jusque-là, et il aurait scandalisé ses disciples. De plus, si Paul leur