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furieux et ivres de carnage. De même que, dans la guerre, quand une troupe ennemie est en bon ordre, nous admirons surtout celui qui s’élance le premier et qui parvient à briser le front de cette phalange (ce n’est pas seulement dans cette circonstance, c’est aussi dans toutes les autres que l’on estime par-dessus tous celui qui a ouvert la route des belles actions en commençant à les exécuter) ; de même faut-il raisonner à l’égard de Pierre, parce qu’il s’est avancé le premier au combat, qu’il a rompu le front de la phalange juive, qu’il l’a vaincue par un long et admirable discours, frayant ainsi le passage aux autres apôtres. Et si Jean, Jacques Paul ou tout autre, nous semble par la suite avoir fait quelque chose de grand, celui-là l’emporte sur tous qui leur a frayé le chemin par son courage, et leur a ouvert la route ; il leur a permis d’avancer avec confiance, et comme un fleuve au cours impétueux, il entraîne ceux qui lui résistent et arrose doucement des ondes de sa doctrine les âmes dociles. Ne fut-il pas ainsi après la passion ? Avant la passion n’était-il pas le plus ardent de tous ? Les apôtres n’empruntaient-ils pas sa voix ? ne parlait-il pas quand les autres se taisaient ? Que dit-on de moi ? que je suis le fils de l’homme ? dit le Christ. (Mt. 16,13) Les uns répondaient Élie, les autres Jérémie, d’autres un des prophètes. Et vous, dit-il, que dites-vous que je suis ? Pierre lui répondit : Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant. Le Maître avait dit : vous, et de même que la langue parle pour tout le corps, de même Pierre a répondu au nom de tous. Est-ce alors seulement qu’il a paru ainsi, et son zèle s’est-il ralenti ailleurs ? Nullement ; toujours et partout il montra la même ardeur. Quand le Christ lui dit : On livrera le fils de l’homme, on le flagellera, on le mettra en croix (Mc. 10,33, 34), il dit lui-même : Pitié pour vous, Seigneur ! que cela ne vous arrive pas ! (Mt. 16,21) Car il ne faut pas examiner si cette réponse était inconsidérée, mais voir qu’elle provenait d’un amour parfait et fervent. Lorsque le Christ se fut transfiguré sur la montagne, et apparut conversant avec Moïse et Élie ; alors Pierre lui dit encore : Si vous voulez, nous ferons ici trois tentes. (Mt. 17,4)
6. Voyez combien il aimait son maître, observez combien il avait de soin et de prudence. Après qu’une réponse inconsidérée lui eut fait imposer silence, il remet tout à la volonté de son Maître en lui disant : Voulez-vous ? Il peut arriver encore, dit-il, que l’amour me fasse parler d’une manière indiscrète. Aussi c’est pour éviter une nouvelle réprimande qu’il dit boulez-vous ? La sainte cène fut encore pour lui un sujet de crainte ; quand Jésus dit : un de vous me trahira (Mt. 26,21), il n’osa pas interroger son Maître à cause de la réprimande qu’il avait déjà encourue ; cependant son amour ne lui permettait pas de se taire. Il voulait à la fois s’informer et éviter de paraître téméraire et inconsidéré. Comment donc parvint-il à satisfaire son désir et à éviter le reproche ? Son désir de s’informer montrait la violence de son amour ; d’un autre côté, en ne parlant pas lui-même, et mettant un autre à sa place, il montrait son obéissance et sa docilité. Voici des écueils de toutes parts, disait-il. Il s’agit de trahir le Seigneur ; le danger est grand, mais il y a un précipice de chaque côté. Si je nie tais, mon âme sera dévorée d’inquiétude ; si je parle, je crains de me faire encore réprimander. Il prit donc une route intermédiaire, et lui, qui d’ordinaire se mettait en avant, eut besoin d’emprunter la voix de Jean pour savoir ce dont il s’agissait. En effet, il ne respirait que pour son Maître et n’avait pas d’autre pensée. Aussi, par la suite, il affrontait les prisons et mille genres de mort, et méprisait toute la vie présente. Lorsqu’il eut été flagellé pour son Maître, et que son dos était sillonné de meurtrissures, il disait à ceux qui le fouettaient : Il nous est impossible de ne pas dire ce que nous avons vu et entendu. (Act. 4,20) Voyez quel courage indomptable, voyez quelle confiance invincible, voyez cette âme toute pleine de désir et d’amour céleste ! Comment donc oserait-on dire qu’il craignait les circoncis, qu’il se retirait et se tenait à part pour les éviter ? Je pourrais vous dire encore, au sujet de Pierre, bien des choses pour vous prouver son ardeur, son courage et l’amour qu’il eut pour le Christ, mais pour ne pas étendre inutilement ce discours, je me contenterai de ce que j’ai dit. Car ce que je me propose aujourd’hui n’est pas de faire son éloge, mais de résoudre la question qui se présente à nous et de la mener à bonne fin.
7. Voyez, d’un autre côté, combien cette accusation est peu probable. Quand il disait en commençant : Ce Jésus, que vous avez crucifié, Dieu l’a ressuscité, et l’a délivré des étreintes de la mort (Act. 2,24) ; il était au