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concevoir une trop haute opinion de ceux qui opèrent les miracles, c’est encore le bienheureux Paul qui nous les dénonce. Après avoir parlé de ses révélations, il ajoute : Si je voulais me glorifier, je le pourrais sans imprudence, car je dirais la vérité. (2Cor. 12,6) Pourquoi donc ne vous glorifiez-vous pas ? Je me retiens, de peur que quelqu’un ne m’estime au-dessus de ce qu’il voit en moi, ou de ce qu’il entend dire de moi. Dieu donc, pour empêcher qu’il n’arrivât à Élie rien de pareil (c’était Élie, mais Élie était homme) a mêlé au miracle la défaillance de la nature. Voilà pourquoi celui qui maîtrisait le ciel n’a pas pu maîtriser sa faim ; celui qui resserrait les entrailles de la terre a été impuissant à resserrer les siennes, il a dû avoir recours à une femme, à une veuve ; c’est pour vous faire comprendre, et la puissance de Dieu et la faiblesse de l’homme. Et ce n’est pas là que se réduit l’utilité à recueillir de cette histoire. Il y a plus encore. Quoi donc ? Il y a que, si l’on vous exhorte à muter le zèle du Prophète, vous ne devez pas vous décourager, vous désespérer, dire qu’il était d’une nature supérieure à la vôtre ; que c’est là ce qui lui donnait, auprès de Dieu, tant de confiance. Et ce conseil que nous vous adressons, vous est insinué par un Sage : Élie était un homme sujet, comme nous, aux mêmes misères (Jac. 5,17) ; comme s’il disait : ne croyez pas qu’il soit impossible d’atteindre, avec lui, au faîte de la sagesse ; il avait la même nature que nous. Toutefois son incomparable, sa divine vertu l’a élevé de beaucoup au-dessus des autres hommes.
7. Mais il est temps de retourner à notre veuve. Élie, dit le texte, s’en alla à Sarepta, ville de Sidon, et il trouva une femme veuve qui ramassait du bois. (1R. 17,10) Digne portique d’une maison qu’habite la pauvreté. Eh bien ! après ? a-t-il rebroussé chemin, quand il a vu ces prémices de l’hospitalité annoncée ? Non, il avait entendu la parole divine ; il cria donc, derrière cette femme, et lui dit : Apportez-moi un peu d’eau, et elle alla pour lui apporter de l’eau. Femme vraiment généreuse et vraiment sage, et, si l’expression ne paraît pas trop hardie, femme vraiment digne de la grande âme du prophète ! Mais non, cette expression n’est pas trop hardie ; car, si cette femme n’eût pas été réellement digne, elle n’aurait pas été jugée digne de recevoir ce grand saint. De même que le Christ a dit à ses disciples : En quelque ville, ou en quelque village que vous entriez, informez-vous qui est digne de vous loger, et demeurez là. (Mt. 10,14) De même, ici, c’est parce que Dieu avait que cette femme était digne, entre tous les autres habitants, de recevoir le prophète, que, négligeant tous les autres, il l’a indiquée au prophète. Voyons, dans la réalité même de la conduite, la noblesse de son âme : Apportez-moi, dit-il, de l’eau dans un vase. Voilà, certes, de la part de cette femme, une grande preuve de sagesse. Comment, elle lui répond ? elle s’entretient avec lui ? elle ne se jette pas sur lui ? elle n’appelle pas tout le peuple pour punir cet être exécrable ? N’est-ce pas là une conduite étonnante, admirable ? Qu’une pauvre femme poussée par la faim, ait pu, avec une apparente de raison, s’abandonner jusque-là à sa colère, c’est ce que va prouver un exemple emprunté aux Juifs. Élie avait un disciple, Élisée, un second Élie (car le disciple était la reproduction du maître). Élisée, après Élie, prédit une famine ; ce n’est pas lui qui l’envoya, comme l’avait fait Élie ; la famine devait venir, Élisée la prédit. Eh bien ! que fit le roi qui régnait alors ? Il se revêtit d’un sac ; le fléau brisa son orgueil. Cependant, tout brisé qu’il était, lorsqu’il entendit les lamentations d’une femme qui déplorait la famine, il entra dans une telle colère, qu’aussitôt il s’écria et dit : Que Dieu me traite dans toute sa sévérité, et il ajoute encore, si la tête d’Élisée, fils de Saphat est sur ses épaules jusqu’à la fin du jour ! (2R. 6,31) Voyez-vous la colère du roi ? Voyez la sagesse de la femme. Elle rencontre celui, je ne dis pas qui a prédit la famine, mais qui a fait la famine ; elle est tout pris de la ville, elle ne s’indigne point, elle ne s’abandonne pas à la colère, elle n’excite pas le peuple à le livrer au supplice ; elle lui obéit avec une parfaite sagesse.
8. Or, vous savez bien ce qui arrive parfois, quand nous sommes préoccupés, nos amis mêmes nous importunent ; nous ne pouvons pas les supporter. Maintenant, quand une affliction terrible comme la famine vient à fondre sur nous, la lumière même nous est à charge : c’est ce que prouve encore un exemple emprunté aux Juifs. Moïse arrivait, leur annonçait des biens sans nombre, l’affranchissement de la tyrannie, la liberté, le retour dans leur ancienne patrie : Mais ils ne l’écoutèrent point, à cause de leur extrême affliction et des travaux