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de débiteurs capables de payer l’avaient précédé, il n’eût pas été trop étonnant que le roi ne se fût pas fâché : la solvabilité des premiers aurait dû le disposer à la bienveillance pour ceux qui ensuite n’auraient pu payer. Mais que le premier soit insolvable, et pour une dette si importante, et qu’il n’en éprouve pas moins la clémence de son maître, voilà qui est bien étonnant et extraordinaire. Les hommes, en effet, quand ils ont découvert un débiteur, non moins que s’ils avaient trouvé une proie, se réjouissent et s’agitent de toute manière – pour lui faire payer sa dette entière ; et si la pauvreté des débiteurs ne le permet pas, ils font retomber leur colère sur le corps des pauvres malheureux, les tourmentant, les frappant, leur infligeant mille maux. Dieu au contraire met tout en œuvre et en mouvement pour délivrer ses débiteurs de leurs dettes. L’homme s’enrichit à exiger son dû, et Dieu à le remettre. Quand nous avons reçu ce qu’on nous devait, nous sommes dans une abondance plus grande : Dieu, au contraire, plus il remet les dettes contractées envers lui, plus il s’enrichit. Car la richesse pour Dieu, c’est le salut des hommes, comme le dit saint Paul : Riche pour tous ceux, qui l’invoquent. (Rom. 10,12) Mais, me direz-vous, si le maître veut pardonner au serviteur et lui remettre sa dette, pourquoi ordonne-t-il qu’on le vende ? C’est là précisément ce qui montre le mieux sa charité. Toutefois, ne nous pressons pas et suivons avec ordre le narré de la parabole.
Comme il n’avait pas de quoi payer, dit l’Évangéliste. Qu’est-ce que cela veut dire Comme il n’avait pas de quoi payer ? Voici qui aggrave l’iniquité. Dire qu’il n’avait pas de quoi payer, c’est dire qu’il était vide de bonnes œuvres, qu’il n’avait fait aucun bien qui pût lui être compté pour le pardon de ses fautes. Car nos bonnes œuvres nous sont comptées, oh ! oui, elles nous sont comptées pour la rémission de nos péchés, comme la foi pour la justification. A celui qui ne fait pas les œuvres, mais qui croit en Celui qui justifie l’impie, sa foi est imputée à justice. (Rom. 5,5) Et pourquoi parler seulement de la foi et des bonnes œuvres, puisque les afflictions mêmes nous sont comptées pour le pardon de nos fautes ? C’est ce que le Sauveur nous montre par la parabole de Lazare, où il nous représente Abraham disant au riche que Lazare n’a reçu sur cette terre que des maux, et que c’est pour cela qu’il est consolé dans l’autre vie. C’est ce que nous montre aussi saint Paul, écrivant aux Corinthiens (1Cor. 5,5) au sujet du fornicateur, en leur disant : Livrez cet homme à Satan pour que sa chair soit châtiée et son esprit sauvé. Et, en consolant d’autres pécheurs, il leur adresse ces mots : C’est pour cela qu’il y a parmi vous beaucoup d’infirmes et de languissants et que beaucoup s’endorment. Que si nous nous jugions nous-mêmes, nous ne serions point jugés ; et lorsque nous sommes jugés, c’est par le Seigneur que nous sommes repris, afin que nous ne soyons pas condamnés avec ce monde (1Cor. 11,30-32) Mais si les afflictions, les maladies, la mauvaise santé, les maux que notre corps peut éprouver, toutes choses que nous ne support tons que malgré nous et que nous sommes loin de nous procurer, nous sont comptées pour la rémission de nos fautes, à combien plus forte raison les bonnes œuvres auxquelles nous nous portons dé nous-mêmes et avec zèle ! Ce serviteur au contraire n’avait rien de bon ; il n’avait qu’un poids accablant de péchés ! C’est pourquoi l’Évangéliste dit : Comme il n’avait pas de quoi payer, son maître ordonna qu’il fût vendu. (Mt. 18,25) C’est là le trait qui nous peint le mieux la clémence du Maître, de lui avoir fait rendre compte et d’avoir ordonné de le vendre : car, en faisant ces deux chose, il ne voulait qu’empêcher qu’il fût vendu. – Qu’est-ce qui le prouve ? – La fin de la parabole : car, s’il avait voulu le faire vendre, qui s’y serait opposé ? qui l’aurait empêché ?
6. Pourquoi donc l’a-t-il ordonné, s’il n’avait pas l’intention de le faire ? – Pour imprimer à l’esclave plus de crainte : et il lui voulait, au moyen de sa menace, imprimer plus de crainte, afin de l’amener à supplier, et il voulait l’amener à supplier, afin d’en prendre occasion de pardonner. Il pouvait, même avant toute supplication, lui pardonner, et c’est pour ne pas le rendre pire qu’il ne l’a pas fait. Il aurait pu lui pardonner avant toute reddition de comptes ; mais alors, l’esclave, ignorant la grandeur de sa dette, n’en eût été que plus inhumain et plus cruel envers ses frères : c’est pourquoi le roi lui fait connaître d’abord la grandeur de sa dette et ensuite la lui remet tout entière. C’est après la reddition des comptes où on lui avait fait voir quelle était sa dette, c’est après qu’on l’a menacé et qu’on lui a montré la peine qu’il était juste de lui infliger, c’est