Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 4, 1864.djvu/161

Cette page n’a pas encore été corrigée

de son départ. Sachant que Paul pourrait porter lui-même leurs aumônes, ils en mettaient à part les deniers avec plus d’ardeur, dans l’espoir que ses mains saintes pourraient en avoir l’administration, et qu’il joindrait ses prières à leur sacrifice. Ils pensaient qu’un apôtre chargé du monde entier, et du soin de toutes les Églises que le soleil éclaire, ne s’engagerait pas à administrer une somme trop modique, une somme qui n’en vaudrait point la peine. Mais si les Corinthiens, qui devaient remettre leurs aumônes entre les mains de Paul, pour – les porter à Jérusalem, en amassaient les deniers avec plus de zèle, quelle excuse vous restera-t-il, si vous balancez à faire l’aumône, lorsque vous devez donner votre argent au Maître de Paul, qui le reçoit lui-même par la main des pauvres ?
Pénétrés de ces idées, soit que vous deviez donner aux pauvres en votre nom, ou leur distribuer les deniers d’autrui, ne le faites ni avec lenteur ni avec tristesse, comme si vous portiez atteinte à votre fortune. Le laboureur qui jette tout ce qu’il a de semence, loin d’être fâché et de s’affliger, loin de regarder cela comme une perte, le regarde au contraire comme un gain et un revenu, quoique ses espérances soient incertaines ; et vous qui semez pour recueillir des fruits beaucoup plus précieux, vous qui confiez votre argent à Jésus-Christ lui-même, vous différez, vous balancez, vous prétextez le défaut de moyens ! cette conduite est-elle raisonnable ? Dieu ne pouvait-il pas ordonner à la terre de produire de l’or pur ? Celui qui a dit : Que la terre produise de l’herbe verte (Gen. 1,11), et qui l’a montrée aussitôt revêtue de verdure, pouvait sans doute ordonner à tous les fleuves et à toutes les fontaines de rouler de l’or. Il ne l’a pas voulu, il a laissé beaucoup d’hommes dans l’indigence pour leur avantage et pour le vôtre ; car la pauvreté est plus propre à la vertu que les richesses, et ce n’est pas une médiocre ressource pour ceux qui ont péché que les secours accordés aux indigents.
Dieu a si fort à cœur l’aumône, que lorsqu’il vint dans le monde, revêtu de notre chair et conversant avec les hommes, il ne regarda pas comme une honte, comme indigne de sa majesté, d’administrer lui-même les deniers des pauvres ; cependant, lui qui avait créé assez de pains pour nourrir une grande multitude, qui n’avait qu’à ordonner pour faire ce qu’il voulait, qui aurait pu produire sur-le-champ d’immenses trésors, ne l’a pas voulu ; mais il a ordonné à ses disciples d’avoir une bourse et de porter ce qu’on y mettait pour en secourir ceux qui étaient dans le besoin. Aussi, lorsqu’il parlait obscurément à Judas de sa trahison, les disciples, qui ne pouvaient comprendre ses paroles, crurent qu’il lui ordonnait de distribuer quelque argent aux pauvres, parce qu’il avait la bourse (Jn. 13,29), et que c’était lui qui portait ce qu’on mettait dedans. Dieu, oui, Dieu a fort à cœur la miséricorde, non seulement celle qu’il nous témoigne à nous-mêmes, mais encore celle que nous devons montrer envers nos semblables. Il nous donne sur l’aumône une infinité de préceptes dans l’Ancien comme dans le Nouveau Testament ; il nous commande de signaler notre amour pour les hommes par des actions, par des paroles, par d’utiles largesses. Moïse en parle fort souvent dans toutes ses lois ; les prophètes nous crient, dans la personne de Dieu : Je veux la miséricorde et non le sacrifice. (Os. 6,6) Les apôtres agissent et parlent conformément à ce principe. Ne négligeons donc pas l’aumône, qui est si utile aux pauvres, et encore plus à nous-mêmes, puisque nous recevons beaucoup plus que nous ne donnons.
6. Ce n’est pas sans motif que je fais maintenant ces réflexions, mais parce que j’en vois plusieurs examiner scrupuleusement les pauvres, s’informer de leur patrie, de leur vie, de leurs mœurs, de leur profession, de l’état de leur corps, leur faire mille reproches, leur demander mille comptes de leur santé. Aussi beaucoup d’entre eux contrefont-ils des corps estropiés et impotents, afin de fléchir notre cruauté par les faux dehors d’une infirmité apparente. Il est mal de leur faire des reproches, même dans la belle saison, quoique cela puisse se souffrir ; mais pendant le froid le plus rigoureux, se montrer à leur égard un juge si dur et si cruel, ne leur point pardonner de rester oisifs, n’est-ce pas le comble de l’inhumanité ? Pourquoi donc, dira-t-on, saint Paul donnait-il cette règle aux Thessaloniciens : Celui qui ne veut pas travailler ne doit pas non plus manger ? C’est afin que vous la connaissiez vous-même, cette règle, que vous vous adressiez à vous-même les paroles de l’Apôtre, et non pas seulement aux pauvres ; car les préceptes de saint Paul ne sont pas seulement pour