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aux pauvres, et surtout sur l’examen de ceux qu’il aura promus aux ordres et sur mille autres choses. C’est pour cela que saint Paul écrivait à Timothée (1Tim. 5,22) : N’imposez légèrement les mains à personne et ne participez en rien aux péchés des autres. Et aux Hébreux, en parlant de leurs chefs spirituels, il écrivait ces paroles effrayantes : Obéissez à vos préposés et soyez-leur soumis ; car ce sont eux qui veillent sur vos âmes comme devant en tendre compte. (Héb. 13, 17) Et, après nos actions, il faudra rendre compte de nos paroles. Car de même que quand nous avons confié de l’argent à nos esclaves, nous voulons connaître l’emploi qu’ils en ont fait, ainsi Dieu qui nous a confié la parole nous demandera comment nous l’aurons employée. Il examinera, par des informations sévères, si nous n’avons pas dépensé ce talent inutilement et en vain : l’argent qui passe en folles dépenses est moins nuisible que des paroles vaines, inutiles et sans but : car l’argent inutilement employé porte préjudice le plus souvent, il est vrai, à la fortune ; mais une parole irréfléchie renverse des maisons entières, perd et paralyse les âmes ; et d’ailleurs la perte de la fortune peut se réparer ; une parole une fois lancée vous ne pouvez la rappeler.
Oui, nous rendrons compte de nos paroles ; écoutez ce que déclare le Seigneur : Je vous dis que toute parole oiseuse que les hommes auront prononcée sur cette terre, ils en rendront compte au jour du jugement : car c’est par vos paroles que vous serez justifiés, et par vos paroles que vous serez condamnés. (Mt. 12,36-37) Nous rendrons compte et de ce que nous aurons dit et de ce que nous aurons entendu ; par exemple, si nous avons écouté, sans nous y opposer, une calomnie dirigée contre notre prochain : car, dit l’Écriture, n’acceptez point les paroles du menteur. (Ex. 23,1) Et si ceux qui acceptent ces paroles ne doivent pas trouver grâce, quelles causes allégueront les médisants et les calomniateurs ?
5. Et, que dis-je, ce que nous aurons dit et entendu ? Bien plus, nous rendrons compte même de nos pensées. C’est ce que saint Paul nous montre par ces paroles : C’est pourquoi ne jugez pas avant le temps, jusqu’à ce que vienne le Seigneur qui éclairera ce qui est caché dans les ténèbres et manifestera les pensées secrètes des cœurs (1Cor. 4,5) ; et le Psalmiste par celles-ci : La pensée même de l’homme servira à votre gloire. (Ps. 75,11) Que veut-il dire par ces mots : la pensée même de l’homme servira à votre gloire ? Oui, elle y servira si vous n’adressez à votre frère que des paroles feintes et pleines de malignité, si votre bouche et votre langue le louent, tandis que, au fond de votre cœur, vous ne pensez de lui que du mal et ne lui portez que de la haine. Le Christ, voulant nous faire entendre que nous rendrons compte de nos actions, et aussi de nos pensées, nous dit : Quiconque aura regardé une femme pour la convoiter a déjà commis l’adultère dans son cœur. (Mt. 5,28) Son péché n’a pas passé jusqu’à l’acte ; il n’est encore que dans la pensée et cependant celui-là même n’est pas sans faute, qui considère la beauté d’une femme, afin que le désir de l’impureté s’allume en lui. Aussi lorsque vous entendez dire que le Maître veut faire rendre compte à ses serviteurs, ne passez pas légèrement sur cette parole, mais pensez qu’elle embrasse toute dignité, tout âge, tout sexe, et les hommes et les femmes : songez quel sera ce tribunal, et repassez dans votre esprit toutes les fautes que vous avez commises. Car, si vous les avez oubliées, Dieu ne les oubliera pas ; mais il vous les remettra toutes devant les yeux, si, devançant ce terrible moment, vous ne les anéantissez – par la pénitence, la confession et le pardon des torts qui vous sont faits. Mais pourquoi le Maître se fait-il rendre compte ? Ce n’est pas qu’il ignore nos œuvres, lui qui connaît toutes choses avant même qu’elles arrivent ; il veut montrer à ses esclaves que leurs dettes sont des dettes véritables et justes ; il veut le leur faire reconnaître et aussi leur apprendre à s’acquitter. C’est dans ce but qu’il envoyait le Prophète rappeler aux Juifs leurs iniquités : Va redire ses iniquités à la maison de Jacob et ses péchés à la maison d’Israël (Is. 58,1), non seulement pour qu’ils les entendent, mais pour qu’ils s’en corrigent.
Quand il eut commencé à se faire rendre compte, on lui amena un serviteur qui lui devait dix mille talents. Quelle somme confiée ! quelle somme dissipée ! Quelle énorme dette ! Combien n’en avait-il pas reçu, lui qui en a tant dépensé ! Il est lourd, le poids des dettes ; mais ce qu’il y a de plus fâcheux, c’est que ce serviteur fut conduit à son maître le premier. Car si beaucoup